Contrairement à ce que nous disent les partisans de la colonisation, si tant est qu’un peuple puisse accepter d’être colonisé, non, mille fois non, le peuple tunisien n’a jamais accepté le protectorat français ! Et y résisté dès les premiers instants. (Illustration: la prise du Kef à travers des gravures françaises d’époque).
Par Abdellaziz Guesmi *
Le Kef, le 24 avril 1881, Jules Ferry, président du Conseil des ministres français, ordonne à l’armée française de pénétrer en Tunisie afin de sécuriser «ses frontières algériennes !», victimes d’incessantes attaques de la part des populations tunisiennes.
S’il est vrai que des tribus algériennes et tunisiennes refusent les frontières artificielles imposées par le colon, Il s’agit là d’un prétexte fallacieux pour occuper la Tunisie.
Alors que le général Delebecque attaque la région de Tabarka, l’armée française, forte de 5000 hommes, sous l’autorité du général Logerot, se met en branle pour attaquer le Kef.
Le Bey regarde ailleurs
L’armée ottomane du Bey regarde ailleurs. Le souverain et ses acolytes, après avoir ruiné le pays, vont le céder à l’étranger.
Alors les vaillantes tribus Ferchichi, Charen, Ouergha, Zoughlami, Mejri, Hammami, Zlass viendront à la rencontre des intrus. Le combat sera désespéré.
Le 24 au matin, l’agresseur quitte le bordj de Sidi-Youssef (côté algérien) et pénètre sur le territoire de la tribu tunisienne des Charen à Sakiet. Les escarmouches débutent. Les Charen partent aux combats, souvent avec des bâtons et des armes rudimentaires et subissent des pertes douloureuses. Leurs voisins Ouergha et Zoughlami harcèlent les soldats au niveau de la mine de plomb et tout au long de l’actuelle route qui va de Sakiet au Kef. La situation est dramatique. En attendant, L’armée beylicale du prince Ali Bey ne répond à aucune demande de secours… bien au contraire !
Mohammed Sadok, le bey de Tunis, donne l’ordre aux chefs indigènes de licencier leurs soldats; il recommande de ne pas défendre le Kef et de ne pas contrarier les opérations des troupes françaises !!! Ce qui a pour effet d’exaspérer les tribus hésitantes.
Le 24 au soir, la colonne armée française couchait sur les bords de l’Oued-Mellègue. Les très braves Ferchichi tentent de couper la route à un adversaire surarmé. Les pertes, côté Ferchichi, se comptent par dizaines.
La journée du 25 avril est parsemée d’affrontements meurtriers pour les tribus.
Le 25 avril au soir, la colonne française campe sur les hauteurs qui bordent l’Oued-Remel à quelques kilomètres du Kef. Les Majer, rancuniers, ne veulent pas défendre le Kef (Ali Ben Ghedham un chef Majri de la révolte de 1864 a été emprisonné au Kef), mais répondent à la demande d’aide de leurs cousins Ferchichi. Ils attaquent le campement de l’oued-Remel. La contre-attaque française est assassine.
Les notables du Kef, inquiets pour le sort de la ville, cherchent à négocier avec l’agresseur. Toute idée de résistance frontale est alors abandonnée. Une députation ira le dire au général Logerot de la part du Khalifa, du cadi et de plusieurs notables keffois. Les portes de la ville du Kef sont ouvertes ainsi que la Casbah où le général va mettre garnison.
Ali Bey obéit à son maître
Le 27 avril, Logerot quitte Le Kef, passe par Nebeur et occupe Souk El Arba (futur Jendouba) le 29 avril. C’est là qu’il reçoit Ali Bey qui campe à peu de distance avec l’armée beylicale. Logerot ordonne à Ali Bey de repartir pour Tunis. Le traître obéit à son maître et rentre au Bardo.
La nouvelle de la prise du Kef cause une grande effervescence qui amène de nombreuses tribus à se confédérer. Le caïd des Neffati, Ali ben Khalifa, est désigné chef mouvement de révolte.
Les tribus les plus puissantes (Ferchichi, Majer, Zlass, Hamamma), persuadent les tribus moins importantes de prendre les armes contre le Bey et les envahisseurs.
Le 20 juin, toutes les populations nomades de la Tunisie sont insurgées. Elles iront assiéger Tunis, Sousse, Kairouan……
A Sousse, c’est une canonnière française qui ouvre le feu sur la foule!
A Kairouan, les Zlass et les Frachiches déposent tous les représentants du pouvoir du Bey et tiennent la ville sainte pour un temps.
Ces mêmes Zlass, alliés aux Souassi et aux Ouled Saïd et réunissant 6000 insurgés, attaquent l’armée française à Bir Hfaidh (vers Hammamet) et à El-Arbaïn où ils pénètrent au cœur du dispositif défensif français.
A Sfax insurgée, la marine française tire aux canons, depuis le rivage, et abat 800 civils.
A Gabes, face à la résistance héroïque des tribus, l’armée se retire.
Le mouvement insurrectionnel était dirigé, chez les Zlass, par El Hadj Hassein Ben Messai, caïd des Oulad-Iddir; chez les Frachiches, par El-Hadj Harrat, caïd des Oulad-Nadji; chez les Hammama, par Ahmed Ben Youcef, caïd des Oulad-Redhouan, chez les Ouled Ayar, Ali Ben Ammar.
Malgré l’échec de l’insurrection, la France et ses supplétifs locaux n’ont jamais réussi à tenir ni la frontière ni le pays des tribus.
L’ancienne Sicca Veneria, attendra plusieurs décennies avant de retrouver sa liberté. En attendant, aucun panneau, aucun monument, ne signalent les hauts faits de résistance du peuple tunisien. C’est regrettable.
* Proviseur à Grenoble.
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