Il fut un temps pas très lointain où des dizaines de milliers d’Italiens venant de Sicile traversaient 250 km de mer pour débarquer sur les côtes du Cap Bon en Tunisie. Certains de ces clandestins étaient arrêtés mais l’écrasante majorité s’installait dans notre pays et y refaisaient leur vie. La migration est une très vieille histoire méditerranéenne. Aujourd’hui, elle a juste changé de direction.
Il fut un temps, entre le milieu du 19e siècle et celui du 20e où le mouvement migratoire était du nord au sud, de l’Italie vers la Tunisie, où des générations d’Italiens ont vécu et fait souche. Un livre récemment publié, fruit de nombreuses années de travail, raconte le passé méconnu de cette communauté des Italiens de Tunisie.
Dans son ouvrage ‘‘Les Italiens de Tunisie : La construction d’une communauté entre migrations, colonisations et colonialismes (1896-1918)’’, édité par l’École française de Rome, Gabriele Montalbano, chercheur postdoctoral en histoire à l’Université de Bologne, traite d’«une époque pas si lointaine où les Italiens ont émigré en masse vers la Tunisie à la recherche de travail, d’opportunités, d’avenir».
Une colonie manquée
«L’histoire des Italiens en Tunisie offre l’opportunité d’examiner la manière dont une identité nationale peut se construire en dehors de toute territorialité et est façonnée par les rapports de force sociaux et économiques», souligne le chercheur, précisant comment «les migrations et les colonialismes ont façonné nos sociétés méditerranéennes et continuent d’influencer notre vie quotidienne» et comment «la connaissance d’un passé peu connu n’est pas une simple érudition mais peut être un outil essentiel pour démanteler les mensonges du présent».
Entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, le jeune État italien connaît un vaste mouvement migratoire qui conduit plusieurs millions de citoyens à chercher fortune ailleurs. Si les pays américains et européens ont accueilli la majorité de cette population, d’importantes communautés d’émigrants se sont également installées sur les rives sud du bassin méditerranéen.
Celles-ci s’ajoutaient aux expériences antérieures de mobilité méditerranéenne qui avaient fait de la Tunisie depuis l’époque moderne la destination des diasporas juives, des esclaves chrétiens et plus tard des réfugiés politiques du Risorgimento et aussi des commerçants et des entrepreneurs.
En Tunisie, devenue protectorat français en 1881, les Italiens constituaient le groupe d’étrangers européens le plus important : en 1905, ils étaient près de 90 000, contre seulement 35 000 Français et environ un million et demi de Tunisiens.
Cette majorité démographique d’Italiens parmi les étrangers européens et leur implication active dans le développement économique du pays n’ont pas manqué de créer des tensions entre la France et l’Italie, pour qui la Tunisie représentait une sorte de «colonie manquée» et qui relançait ses aspirations coloniales en Afrique.
Une position intermédiaire
De plus, cette communauté était d’autant plus singulière que durant la période coloniale de la Tunisie les Italiens, majoritairement ouvriers, se retrouvaient dans une position intermédiaire entre la classe dominante des colonisateurs français et la classe dominée des colonisés tunisiens, même s’ils partageaient les mêmes conditions de la vie.
L’étude de l’histoire des Italiens en Tunisie offre l’opportunité d’examiner la manière dont une identité nationale peut se construire en dehors de toute territorialité et est façonnée par les relations de pouvoir sociales et économiques.
La publication, souligne l’éditeur, a été financée par le Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne.
Traduit de l’italien.
Source: Ansamed.
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