Le poème du dimanche : « Mu’allaqa » de Imru’l Qays

Considéré comme l’un des piliers fondateurs de la poésie arabe pré-islamique, Imru’l Qays Ibn H’ujr al-Kindi est poète, prince, auteur de l’une des sept Mu’allaqat, longs poèmes, qaçidas, que les Arabes, selon les chroniqueurs, célébraient et suspendaient aux murs de la Kaâba. (iIlustration: Al Mu’allaqat , œuvres d’Abdallah Akar).

La Mu’allaqa obéit à des règles métriques et thématiques : amour et valeurs épiques, nostalgie de l’aimée et des lieux quittés, chants et louanges de soi et de la tribu, elle constitue une réelle richesse descriptive de cette période de l’Arabie et place la poésie arabe dans une antériorité importante au sein de la poésie mondiale.

La Mu’allaqa d’Imru’l Qays, dit aussi, le roi errant «al malek adhillil», est jugée par les critiques et les historiens de la littérature comme l’un des plus beaux poèmes arabes. Le poète, lui, est source de légendes et de confusions biographiques, dues à la pluralité de son nom, porté par de nombreux personnages dans la région. Il serait mort entre 550 et 565, sa Mua’llaqa est composée de 82 vers.

Quelques références (en français) : Les dix grandes odes arabes de l’anté-islam, trad. Jacques Berque, Sindbad/Actes sud, 1995; Les Mu’allaqât ou les sept poèmes préislamiques, trad. Pierre Larcher, Fata Morgana, 2000 ; Les poèmes suspendus, calligraphies Abdallah Akar, édition bilingue, Alternatives, 2007; Le Chant du roi errant, Tahar Bekri, l’Harmattan, 1985. 

Tahar Bekri

Halte, et pleurons au rappel d’une aimée, d’un camp

Au déclin de la dune entre Dakhoûl et Hawmal,
Toûdih et Miqrât, dont la trace ne s’efface
Grâce à la navette des vents, du sud, du nord
Mollement sur ses bords le vent afflue; la brise
L’a vêtue du frou-frou d’une robe traînante.
On voit des crottes de gazelles sur ses places,
Et dans ses flaques : on dirait des graines de poivre.
Le matin du départ, le jour où ils chargèrent,
Près des épineux, je broyais la coloquinte.
Mes amis, arrêtant là sur moi leurs montures,
Diront : «De chagrin point ne te consume ! Assume !
Laisse aller loin de toi le passé son chemin
A l’épreuve du jour, imprévue, fais donc face !»
Je m’y suis arrêté, attendant que régresse
Ma triste cécité, à son désir commise.

Que de nuits ont roulé la vague de leurs voiles
Sur moi, lourds de tant de peine, pour m’éprouver
Je criai à chacune, quand elle s’étirait
Faisant saillir sa croupe incurvant le poitrail :
«O longue nuit, je voudrais tant que tu écloses
En matin, mais il n’est matin qui te surpasse,
O nuit merveilleuse, aux étoiles qu’on dirait
D’une tresse parfaite fixée au mont Yadhboul
Et aux Pléiades paraissant, en leur mansion,
Liées aux roches sourdes par des cordons de lin.»
Que de gents dont j’ai mis la courroie serrant l’outre
.

Sur mon épaule, à moi, pauvre nomade errant
Que de vallées franchies, ventres d’onagres, vides
Où le le loup, fils indigne accablé d’enfants, hurle !
A ses cris je répondais : «Bien piètre fortune
Que la nôtre, si toi tu n’as encore rien
Chacun de nous, si peu qu’il obtienne, le perd :
Qui laboure ton champ et le mien meurt de faim».

Extraits Trad. de l’arabe par Pierre Larcher (Les Mu’allaqat ou les sept poèmes préislamiques, Fata Morgana.)

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