C’est l’histoire d’un jeune cinéaste prometteur, Seïf Hasnaoui, dont le premier court métrage ‘‘Half a Time’’ a fait sensation auprès de la critique avant d’être carrément censuré par les gros pontes de la diffusion. Comme quoi la pudibonderie finit toujours par tuer le talent. (Illustration : Seif Hasnaoui, et Sonda Siala dans ‘‘Half a Time’’ ).
Par Mohamed Sadok Lejri *
L’année dernière, le 1er novembre 2021, dans le cadre de la 32e édition des Journées cinématographiques de Carthage, le cinéma Le Palace a projeté une série de courts-métrages tunisiens. Ils étaient tous excellents, mais l’un d’entre eux a particulièrement retenu mon attention : ‘‘Half a Time’’ (Nosf Film).
En réalité, l’effet qu’il m’a fait va au-delà de la captation d’attention ou d’une simple interpellation; il m’avait littéralement enthousiasmé. En effet, ce court-métrage est une grande bouffée d’air libérateur, c’est un pied de nez à une société moralisatrice, liberticide et en perpétuelle frénésie de délires vertueux.
De retour chez moi, j’ai rédigé un papier sous l’empire de l’émotion et dans lequel j’ai fait part de mes impressions aux lecteurs de Kapitalis. D’ailleurs, j’invite mes amis à lire cet article sont le lien est disponible ci-dessous.
Ce court-métrage qui réunit tous les charmes de la première œuvre aurait dû permettre à Seïf Hasnaoui d’amorcer une belle carrière de réalisateur. Il en est de même pour la protagoniste du film, interprétée par Sonda Siala, qui, malgré une prestation excellente et pleine d’audace, aurait dû découvrir les prémices d’une carrière prometteuse après la projection de ‘‘Half a Time’’ à Tunis. Au lieu de cela, plus personne n’a entendu parler d’eux depuis la 32e édition des JCC. Il ne serait pas inintéressant de rappeler que ce film a été sélectionné dans 16 festivals de cinéma et raflé une dizaine de prix.
Morale et pudibonderie
En novembre dernier, toute l’équipe du tournage attendait avec impatience la projection de ‘‘Half a Time’’ dans le cadre des JCC. Il faut savoir qu’un an plus tôt, à la fin de l’année 2020, dans la foulée de l’annulation de l’édition des JCC qui devait avoir lieu la même année, Seïf Hasnaoui et son équipe ont cru que leur film allait être projeté à Panorama International Short Film Festival (PISFF), dédié aux courts-métrages et qui promeut soi-disant les jeunes réalisateurs et le cinéma indépendant. ‘‘Half a Time’’ est parfaitement conforme à la philosophie de PISFF : c’est un court-métrage réalisé par une équipe de jeunes et entièrement autofinancé, donc plus indépendant… tu meurs ! Sauf que, dans ce pays, la morale et la pudibonderie surpassent toute autre considération.
Ainsi, mal leur a pris, ‘‘Half a Time’’ s’est vu refuser par le festival en question, Panorama, alors que son directeur s’était montré au début très enthousiaste à l’idée de le projeter. La volte-face de monsieur Kamel Aouij s’explique par des raisons liées à la morale et aux bonnes mœurs. Il y a eu des échanges entre le réalisateur Seïf Hasnaoui et le directeur du festival. Le directeur de PISFF y annonce au cinéaste sa rétractation. En effet, il explique à Seïf Hasnaoui que, par respect pour le public du festival Panorama – PISFF, il ne peut se permettre de projeter un court-métrage qui contient des «gros mots» et des scènes osées. L’on est tenté de croire qu’il ne s’agit pas d’un directeur de festival de cinéma, mais d’un directeur de comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice.
Trois petits tours et puis s’en vont
En outre, comme ce court-métrage ne comprend aucune tête d’affiche, pas de «vedette» mise en avant, aucune «starlette» venant tout droit d’Insta pour le faire connaître au grand public, et comme il n’a pas bénéficié d’une campagne de promotion, ou plutôt d’une campagne de racolage à travers les médias audiovisuels et les boîtes de com., seule une poignée de Tunisiens est aujourd’hui au courant de l’existence de ‘‘Half a Time’’.
En effet, après le refus essuyé par Seïf Hasnaoui, en 2020, dans le cadre du festival Panorama – PISFF, ‘‘Half a Time’’ n’a été projeté en Tunisie qu’à trois reprises l’année d’après : au Palace, au CinéMadArt et à Ciné Jamil. Et c’était, il est bon de la rappeler encore, dans le cadre de la 32e édition des JCC (2021). Depuis lors, ce court-métrage n’a été projeté nulle part en Tunisie. Pour récapituler, il n’a eu droit qu’à trois projections en Tunisie, pas une de plus. Trois petits tours et puis s’en vont.
Pourtant, ce film n’avait pas besoin d’une tête d’affiche pour faire parler de lui. Ses deux acteurs principaux, en l’occurrence deux amateurs, Sonda Siala et Salmane F’touhi, ont crevé l’écran. Mais, en Tunisie, pour passer dans un festival consacré au cinéma indépendant et aux jeunes talents, notamment aux réalisateurs et acteurs en herbe, il ne faut être ni novice, ni indépendant. Et, surtout et avant toutes choses, le film ne doit pas comporter de scènes qui portent atteinte à la moralité et aux bonnes mœurs. «Voyons ! Nous ne sommes pas à Cannes! », comme dirait monsieur Aouij.
Aujourd’hui, Seïf Hasnaoui s’est éloigné du milieu du cinéma et consacre tout son talent à la publicité pour gagner sa vie. En somme, il se contente de réaliser des spots publicitaires, au lieu de réaliser des films. Qui mieux que la Tunisie pour transformer des talents prometteurs en des projets mort-nés en brisant leur envol ? Décidément, il n’y a que la merde qui fleurit dans ce pays. Le plus important est de ne pas offenser les yeux chastes du public.
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