En publiant des articles souvent alarmistes sur la situation économique et financière de la Tunisie, comme celui reproduit ci-dessous et produit par un expert réputé pour son franc-parler, et qui ne siège dans aucun conseil d’administration, Kapitalis ne le fait pas par manque de patriotisme, mais pour inciter les décideurs à prendre les décisions qui s’imposent à temps et n’attendent pas que la maison s’écroule sur les têtes de douze millions de Tunisiens.
Par Moktar Lamari *
Ce sont les données officielles de la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui alertent les observateurs. La valeur de la masse monétaire en circulation en cash atteint un niveau record de 19 milliards de dinars. En une année, l’augmentation de la masse monétaire en circulation a bondi de presque 11%, alors que la croissance économique n’a progressé que 2%.
C’est un record parce que jamais par le passé la masse monétaire en circulation en cash n’a dépassé la barre de 19 milliards de dinars. En effet, selon les données quotidiennes de la BCT, le montant de la monnaie en circulation s’élevait à 19 037 millions de dinars, au 30 janvier 2023. La valeur de la monnaie a donc augmenté de 1,8 milliard de dinars (+10,4%) par rapport à la même date en 2022.
Cette forte augmentation de la circulation de l’argent cash reflète une préférence claire et croissante des Tunisiens et des opérateurs économiques pour l’utilisation de l’argent liquide, malgré les efforts déployés pour améliorer et développer les moyens de paiement bancaires et en ligne.
De l’argent thésaurisé hors des circuits bancaires
Il convient de noter que depuis 2011, la monnaie en circulation a augmenté chaque année de presque cinq fois plus rapidement que le PIB nominal, reflétant un changement dans le comportement des agents économiques en termes de confiance et une nette préférence pour l’utilisation de l’argent thésaurisé, en dehors des circuits bancaires.
Le sondage menée par World value survey en Tunisie en 2021 montre que 3 personnes répondantes sur 4 n’a pas confiance en les banques tunisiennes. C’est énorme comme taux (75%) de défiance (inconfiance). C’est trois fois plus que le Maroc ou l’Algérie.
Plusieurs hypothèses expliquent cette évolution atypique et sans équivalent dans des pays comparables.
Un: les Tunisiens perdent confiance dans leur système bancaire, pour des raisons diverses. Les taux d’intérêts deviennent exorbitants (13 à 14%), les frais bancaires deviennent usuraires et insupportables (10% – 23%), alors que 60% des Tunisiens sont exclus de facto du système bancaire. Ils n’ont pas le droit de détenir un compte bancaire.
Deux: la crise économique augmente la perception de risque de faillite générale du système bancaire. Moody’s a dégradé la note de confiance a Caa2 de la Banque centrale et de quatre banques tunisiennes. Une notation qui discrédite de facto la gouvernance monétaire du pays.
Le risque systémique n’est plus improbable
Les gens préfèrent garder leur billet de banque chez eux plutôt que de les déposer en banque, les risques sont grandissants de voir les banques s’écrouler dans le sillage d’un défaut de paiement de l’Etat. Un risque de plus en plus probable…
Trois: le pays est techniquement en faillite, sa dette est insoutenable, l’Etat se dope par la dette pour honorer ses engagements : salaires des fonctionnaires, remboursement des prêts arrivés à échéances. L’Etat n’arrive plus à payer ses fournisseurs nationaux et internationaux. Et les pénuries se généralisent : sucre, semoule, médicament, essence, lait, etc.
Le dénominateur commun à toutes ces contingences et carences réside dans une gouvernance chancelante, autoritaire et arbitraire. Le président de la république tunisienne monopolise désormais tous les pouvoirs, mène une politique populiste, autoritaire et qui brime de facto l’esprit d’entreprise et pactise avec le statu quo et ses rentiers…
L’ampleur de la masse monétaire en circulation en cash en dit long sur l’ampleur des incertitudes qui paralysent le pays. Le FMI, comme les agences de notation prennent leur distance avec la gouvernance actuelle de la Tunisie, et multiplient les avertissements et les appels en faveur à des réformes structurelles et urgentes.
* Economiste universitaire.
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