Le poème du dimanche : ‘‘De Tahar Haddad à Zakia Fourati’’* de Mustapha Khraïef

Mustapha Khraïef est une voix qui compte dans la poésie et la littérature tunisienne. Témoin de ses gestations et ses créations. Il a collaboré à de nombreux journaux et revues, comme critique ou auteur d’opinion.

Né en 1909, dans la palmeraie de Nefta, Mustapha Khraïef fut ami d’Aboulkacem Chebbi (1), Tahar Haddad (2), Ali Douâji (3), etc., engagé dans la lutte nationale. Certains de ses poèmes ont été chantés par de grandes voix de la chanson.

Il a publié deux recueils, Shu’a’ (Rayon,1949); Shawq wa dhawq (Nostalgie et goût, 1965).

Sa poésie est restée fidèle au mètre classique arabe, maîtrisé et allégé, avec quelques innovations, cependant.

Chant d’amour et de patriotisme, célébration de la nature, sa poésie mêle références anciennes et événements actuels. Il décède en 1967.

Tahar Bekri

Ils me déclarèrent une guerre totale

Voulant me nuire matin et soir

Coururent remuant poussière contre mon appel

Avec mensonge ruse odieuse et baliverne

S’échangèrent à mon sujet un cri indigne

Remplissant les foyers de stupidités et vulgarités

Ils souhaitèrent ma mort rapide quand je leur étais

Lame tranchante et les défendais contre les étrangers

J’ai dit menez les femmes vers la lumière

Voulez-leur une Loi tolérante

Ressentez leur mal profond

Vous lui trouverez le remède

Non notre progéniture ne doit pas être élevée

Dans l’obscurité grandir dans la pire ignorance

L’âme de la jeunesse ne doit rester errante

Non voyante du droit chemin et muette

Les meules du temps dans leur tournoiement

Excellent et écrasent les faibles sous les puissants

Ces champs fanés s’ils sont irrigués

Fleurissent et donnent biens et richesses

Jusqu’à quand laissons-nous

Notre mère dans l’ignorance

Quels hommes ! Notre mère a Eve !!

Qu’a-t-il Adam pour renier son instruction

Et Dieu a enseigné à Adam les noms ?

***

Fille d’Arabes honorables, prends part

Au combat et à ce que font d’utile les chefs

Œuvre pour l’honneur des positions

Répands auprès des humains une page noble

Les filles des Arabes affrontaient le combat

Guerroyaient pour se défendre

Quand les cavaliers étaient en selle

Elles leur criaient

Nous ne sommes pas femmes à asservir

Les propos de Asma’ Bent Abou Bakr (4)

Débordaient d’orgueil de sacrifice et de fierté

Quand Abdallah (5) était battu l’ennemi ne devait

Salir son sang ni déchirer ses membres en lambeaux

Il se réfugia auprès de sa mère tendre et affectueuse

Afin de ne trouver une mort épouvantable

Elle le dissuada, il mourut sous les sabots

Des chevaux racés combattant l’ennemi

Elle le vit crucifié en haut martyr

Le considéra de haut rang

Celle qui a grandi avec une âme libre

Enfante des âmes fières et dignes

***

Fille de Carthage ont menti ceux

Qui ont prétendu dans la vie que tu es futile

De ton cœur nous apercevons

La flamme sacrée remplissant le monde

Avec la lumière de ton cœur nous parvenons

A notre complétude avec la lumière

De ton visage nous regardons les choses

Je te dédie de la Maison d’éternité un salut

Noble comme ton nom en finesse et beauté

Traduit de l’arabe par Tahar Bekri

Shu’a’ (Rayon), Imprimerie Al Manar, 1949.

Notes du traducteur :

* Poème écrit lors de la venue d’Edouard Daladier, président du Conseil, contre lequel il y a eu des manifestations de femmes, en 1939, à laquelle a pris part Zakia Fourati, grande figure militante du mouvement national tunisien.

1- Aboulkacem Chebbi (1909-1934) : poète tunisien d’expression arabe considéré comme le poète national de Tunisie.

2- Tahar Haddad (1899-1935), émancipateur des femmes, auteur du célèbre ouvrage progressiste, ‘‘Notre femme dans la Loi fondamentale et la société’’, 1930.

3- Ali Douâji (1909-1949) : nouvelliste, dramaturge, parolier, journaliste et caricaturiste tunisien d’expression arabe.

4- Abou Bakr, premier calife de l’islam.

5- Abdallah Ibn Zubaïr, fils d’Asma’ Bent Ibi Bakr, compagnon du prophète, figure importante de l’islam naissant.

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