Nimrod est poète, romancier et essayiste. Sa voix compte dans le paysage poétique et littéraire francophone, couronnée d’attentions et de distinctions. (Ph. Annick Le Thoer).
Né à Koyom, au Tchad, en 1959, Nimrod enseigne la philosophie en Picardie, France. Son œuvre poétique, comme narrative, se réfère largement à son pays natal.
Quelques titres (en poésie) : Pierre, poussière, Ed. Obsidiane, 1989; Sur les berges du Chari, Ed. Bruno Doucey, 2016; J’aurais un royaume de bois flotté, Poésie/Gallimard, 2017.
Tahar Bekri
Aux victimes de la répression du 20 octobre 2022
Braves vers, graves vers, qui d’une voix terrible
Vous crient, ô Tyrans ! Voyez qu’il est horrible
De chair entre les mains de ce grand Dieu vivant.
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques.
Exposition
Ce jeune homme me regarde encore
dont les yeux ne regardent plus le jour.
Un talc couleur terre revêt son visage
comme si ses compagnons y ajustaient
un masque mortuaire :
l’éternité vient s’y mirer. Il s’appelle
Djimtolom, et son corps côtoie celui de Gatsou.
Le visage de ce dernier exprime le refus
de la violence qui l’a fauché dans son élan
et vif et amer. Il avait couru, Gatsou, sa main
droite fermée sur une tesselle de brique
tel un trésor de colère. Un trésor de force
ou la grenade symbolique qui dégoupille une âme.
Sur sa gauche une jeune fille aux seins rebondis
offre un visage distrait par un teint blafard.
La camarde lui a refusé tout maquillage.
C’est un sort affreux pour une nubile
une fiancée sûre parfaite que d’être
livrée de la sorte au regard de tous.
Elle s’appelle Solkem et son sang sous nos yeux
draine l’amertume et le désespoir.
Hélène, sa compagne d’absence, a eu plus d’égards.
De gentes mains ont arrangé son visage. À défaut
de sourire, elle refrène sa douleur.
Au pied d’Hélène, la hanche gauche
d’un jeune homme dévoile un gros impact de balle.
Son visage est méconnaissable
et son nom introuvable.
Du reste, il occupe le carré des sans nom.
Ils sont six en tout, rangés tête-bêche, valeureux
combattants de la liberté qui ont été abattus
avec un fusil d’assaut de gros calibre.
Ils ont tous des éclats de chair, de sang et d’os
à la tête, au fémur et dans l’abdomen.
L’espoir expose ses trophées à coup de déchirures
et la salle de réunion devenue une morgue
hauturière est supervisée par des camarades
qui donnent le change à la mort
comme des accoucheurs de vie et d’avenir.
Visages amers de la liberté, traits qui sur traits
s’impriment dans ce cœur mien
qui voudrait leur redonner leur jeunesse
ardente et sûre, leur jeunesse qui meurt
au soleil du désespoir et de l’amour.
L’Histoire s’écrit ce jour 20 octobre 2022
contre le parti des jeunes. Ils meurent
d’avoir tant espéré et d’avoir tant été déçus…
Il y a une seconde encore leur cœur se complaisait
aux musiques urbaines, lui que l’on tue
sans la moindre urbanité.
La lâcheté d’un tyran est incendiaire.
Car c’est Raïs Kim qu’ils ont canardé
en premier, Raïs Kim qui ouvre la marche
la tête auréolée du drapeau tricolore
Raïs Kim le tribun qui rappe l’espoir
et le mouvement, la poussière et sa saveur
la justice la bonté et la foi
en basse continue et en blues ailé.
Ils ont brisé une cheville de Raïs Kim
Et ils ont canardé le journaliste
Narcisse Oredjé, une belle et douce personne
La lumière est veuve de son regard.
Ils les ont canardés
à la manière de ces jeunes déportés
au désert, ces jeunes portés disparus
comme l’on tamise le sable tant convoité
par 500 généraux ce sable d’or
et les 500 généraux du tyran
tous orpailleurs tous analphabètes
tous sourds tous aveugles à la lettre et à l’esprit
de nos communes espérances.
Accusation
Ça fait quatre décennies qu’on nous vend le tyran
comme le nouveau Mao ou Che Guevara.
Il y a trois semaines un veule révolutionnaire
posait sur des rochers en lecteur
de L’art de la guérilla. Le grand Argentin
s’est retourné dans sa tombe.
Ils s’y connaissent en pose ces faux
diplômés de la Sorbonne et ces faux juristes
des facultés de Bordeaux ou de Reims.
Ils vont aux métiers des armes
par loyauté clanique ou familiale.
Ils méprisent la justice, car sur le marché
des révolutions, on vend on achète
des loyautés au gré d’iniques intérêts.
Des diplômés conseillent le tyran
ils lui apportent la caution formelle.
Il est grave inculte le tyran
il est cruel il est sanguinaire ;
seul lui importe l’assassinat.
Il a raté tous ses examens
c’est un écolier revanchard
qui balbutie l’arabe et le français
dans un sabir atroce.
Le discours l’effraie, les caméras
la lucarne des téléphones
Ils font monter en lui la mort
cette mort qu’il sème à tout-va
pour mériter sa propre misère.
Tyranneau infâme, petit soldat
qui a tout raté et s’est raté lui-même
pour ne plus jamais rater personne
longtemps nous avons contemplé son âme
son âme vide et revêche qui trônait
dans les sphères désertées par les dieux.
Longtemps le destin livra notre nom
et nos provinces à la risée du monde
– nos cauchemars aussi.
Car les gens n’aiment rien tant que l’horreur
qui les venge de leurs propres malheurs
Ta haine tyranneau les tireurs embusqués
l’ont repolie. Elle vise à hauteur d’homme ce jeune
homme dont l’abdomen fendu au scalpel
répand ses viscères comme s’il les avait vomies.
De la lumière d’en haut, les anges ont empli
ses yeux. Est-ce ainsi qu’un jour aux miens
je dirai adieu en quelque autre rue ?
Une rue que les yeux du mourant transfigurent
en nostalgie. Elle attriste les cieux.
(Remerciements à l’auteur).
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