Au lieu du bras de fer migratoire, l’Occident, soucieux de la stabilité du flanc sud de l’Otan, pourrait mettre en place des fonds structurels pour la modernisation de l’infrastructure logistique et transportuaire en Tunisie et un programme de transfert de 1000 entreprises européennes installées en Asie vers notre pays dans les cinq prochaines années pour créer quelque 400.000 emplois directs.
Par Elyes Kasri *
Il est quand même curieux de noter la persistance des voix en Tunisie depuis 2011 exigeant du Fonds monétaire international (FMI) de «tenir comptes des spécificités tunisiennes et des risques de dérapage social et sécuritaire» en demandant avec insistance le report indéfini des réformes en Tunisie, pour en arriver ultérieurement à reprocher au FMI et aux institutions financières internationales le mauvais usage fait par les autorités tunisiennes de l’époque des dons et prêts contractés avec les résultats calamiteux qui n’échappent à personne.
Le chantage socio-sécuritaire
Ainsi, la Tunisie a obtenu auprès du FMI, durant la décennie 2011-2020, des prêts d’un montant global de 4,6 milliards de dollars en plus de la manne des dons et prêts garantis notamment par le Japon, l’Europe et les Etats Unis d’Amérique.
Le plus grave c’est que les enseignements du chantage socio-sécuritaire n’ont pas été tirés en Tunisie et en Europe et qu’ils sont actuellement relayés par le gouvernement italien d’extrême-droite pour des raisons idéologiques et sécuritaires à court terme afin d’essayer vainement de juguler la vague migratoire à travers et à partir de la Tunisie.
Au lieu de nous aider au compte goutte ou de se faire l’avocate du statu quo, sous prétexte d’éviter l’explosion sociale et une déferlante migratoire, l’Europe gagnerait à réajuster sa politique d’investissement à la nouvelle conjoncture géopolitique et prendre conscience que son souci de profit à court terme avec l’Asie a abouti à une dépendance stratégique et à l’affaiblissement de son voisinage, notamment de la Tunisie, au point d’en faire une menace à sa propre sécurité.
Ce dialogue sur fond de chantage dans l’esprit de certains illuminés au basculement dans le giron sino-russe, occulte une double réalité. D’abord, celle du caractère désormais incontournable des réformes en Tunisie et de l’urgence de la mise en place d’un nouveau modèle de développement socio-économique.
La deuxième réalité concerne l’obligation stratégique pour l’Europe de passer du saupoudrage des aides et prêts à la Tunisie vers un plan Marshall consistant non pas en des dons et des prêts qui connaîtront le même sort que ceux qui les ont précédés, mais plutôt au transfert d’une partie des nombreux investissements européens en Asie vers la Tunisie et l’Afrique afin d’y créer les conditions durables d’emploi, de prospérité et de stabilisation des populations autochtones.
La peur de la déferlante migratoire
En Tunisie, une sérieuse remise en question de la politique économique gagnerait à être associée à une réflexion et action communes avec l’Europe pour pallier aux conséquences négatives de la politique européenne de développement de son voisinage méditerranéen et africain avec la Tunisie comme un cas aigu de mutation de cette politique défaillante d’aide au développement international en une menace locale et régionale.
Au lieu du bras de fer migratoire et du chantage au basculement stratégique, cette réflexion commune avec l’Europe et les Etats Unis d’Amérique, soucieux de la stabilité du flanc sud de l’Otan, pourrait positionner plus favorablement la Tunisie aux yeux d’un Occident fragilisé par les conséquences de la pandémie Covid-19 et du conflit ukrainien associées à l’émergence d’un pôle concurrent militaro-économique russo-chinois.
Le monde est en train de changer. La Tunisie gagnerait à en faire de même en embrassant le changement à l’intérieur et en en tirant le meilleur profit pour faire face à ses défis internes qui restent principalement une relance économique durable et inclusive et une véritable démocratie économique loin du système des monopoles, des rentes sociales et économiques et des cartels qui freinent son développement social et économique au point de lui donner de plus en plus les attributs d’un Etat failli.
Une alternative d’autonomisation économique
Outre la mise en place de fonds structurels européens pour la modernisation de l’infrastructure logistique et transportuaire en Tunisie, un programme de transfert de 1000 entreprises européennes installées en Asie vers la Tunisie pourrait être envisagé dans les cinq prochaines années avec la perspective de créer environ 400.000 emplois directs.
L’Italie pourrait également rééditer son investissement dans le projet de réhabilitation du Sahara à Rjim Maatoug et se faire le chef de file d’un mégaprojet de plus grande envergure notamment dans la zone du Dahar tunisien (plus de 300.000 hectares) en donnant ainsi une alternative d’autonomisation économique à une population du sud tunisien qui n’a actuellement pour choix que la contrebande ou la migration illégale.
La Tunisie dispose de nombreux atouts pour mieux faire et mieux se positionner sur la scène internationale. Encore faut-il qu’elle sache et ait l’audace d’embrasser le changement chez elle et dans son voisinage.
* Ancien ambassadeur.
Donnez votre avis