En ne bougeant pas le petit doigt au cours des derniers mois, tout en espérant voir l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI) se débloquer grâce à l’entregent de Giorgia Meloni et d’Antonio Tajani, laissant ainsi le sort du pays entre les mains des étrangers – et c’est le cas de le dire –, l’exécutif tunisien a fait perdre au pays beaucoup de temps et d’argent.
Par Imed Bahri
«Nous serions très heureux que le gouvernement tunisien présente un plan de réforme révisé au FMI et que le FMI puisse agir sur la base du plan présenté, mais il s’agit de décisions souveraines», a déclaré le secrétaire d’État américain Antony Blinken, lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue italien Antonio Tajani, organisée au département d’Etat américain, lundi 12 juin 2023. Et d’ajouter : «Il est clair que la Tunisie a besoin d’une aide supplémentaire si elle veut éviter de tomber dans la crise économique».
Le responsable américain a fait cette déclaration au lendemain de la publication d’une déclaration commune entre la Tunisie et l’Union européenne, au Palais de Carthage, à l’occasion de l’entretien qui a réuni le président de la République, Kaïs Saïed, avec la présidente de la Commission européenne Ursula Van Der Leyen, la présidente du Conseil des ministres italien Giorgia Meloni, et le Premier ministre néerlandais Marc Rutte.
Dans le cadre de cette volonté européenne d’aider la Tunisie à sortir de la crise et prévenir ainsi une flambée des départs de migrants irréguliers de ses côtes en direction des côtes italiennes, l’Italie œuvre depuis plusieurs mois à convaincre le FMI d’accorder le prêt de 1,9 milliard de dollars sollicité par la Tunisie, sachant que l’aide macroéconomique promise par l’UE à notre pays – d’un montant de 900 millions d’euros – est conditionnée à la signature préalable de cet accord.
Réponse du berger à la bergère
Ce fut d’ailleurs là l’un des sujets évoqués par Tajani avec son homologue américain. Mais le problème n’est pas tant dans le refus du FMI – où les Etats-Unis pèsent du poids de leur contribution financière – d’accorder ce prêt, mais dans celui de la Tunisie de mettre en œuvre les réformes sur lesquelles elle s’était elle-même engagée dans le programme qu’elle a présenté à l’institution prêteuse et qui lui valut l’accord de prêt.
Les propos de Blinken sont à cet égard d’une grande clarté et constituent une réponse indirecte au président Saïed qui n’a de cesse, depuis plusieurs mois, de rejeter les «diktats étrangers», par allusion aux réformes structurelles convenues (réduction des subventions aux produits de première nécessité, restructuration/cession des entreprises publiques en difficulté, baisse de la masse salariale du secteur public…) pourtant contenues dans le programme présenté par les responsables tunisiens au FMI et, par voie de conséquence, aux autres bailleurs de fonds, UE comprise, qui ne sont pas prêts à donner encore de l’argent à un pays au bord de la banqueroute financière et qui rechigne à se réformer.
En parlant de «décisions souveraines», expression chère au président Saïed, Blinken a voulu rappeler aux Tunisiens que les réformes convenues n’ont pas été dictées par le FMI, comme semble le penser le locataire du palais de Carthage, mais présentées par leurs négociateurs eux-mêmes comme une garantie prouvant leur volonté de réformer leur économie en panne. C’est pourquoi – réponse du berger à la bergère – il a demandé aux Tunisiens de présenter un nouveau programme qui tiendrait compte des capacités actuelles du pays et des évolutions qu’il a connues au cours des dernières années et qui ont aggravé les pressions sur ses finances publiques et les menaces d’explosion sociale.
Que de temps perdu !
Reste à se demander si la Tunisie est disposée à présenter un nouveau programme au FMI et dans quels délais pourrait-elle le faire, et ce, sans préjuger de la disposition de l’institution prêteuse à maintenir son offre ou à l’améliorer dans le cas où l’essentiel des réformes convenues dans le programme initial seront supprimées ou révisées à la baisse.
Sur un autre plan, la situation financière difficile du pays, qui est au bord du défaut de paiement et fait face à des échéances de paiements très serrées, permet-elle d’attendre encore plusieurs semaines voire plusieurs mois, avec des allers-retours entre Tunis et Washington, avant que le FMI puisse donner son accord pour le nouveau programme, et que la première tranche du crédit espéré parvienne enfin aux caisses de l’Etat ?
Autant dire qu’en ne faisant rien au cours des derniers mois et en se contentant de louvoyer, tout en espérant voir l’accord avec le FMI se débloquer grâce à l’entregent de Giorgia Meloni et d’Antonio Tajani, laissant le destin du pays aux mains des étrangers – et c’est le cas de le dire –, l’exécutif tunisien, présidence de la république et primature, a fait perdre à la Tunisie beaucoup de temps et d’argent.
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