Ce n’est pas rien! D’un coup, 25 points de base de hausse pour calmer l’inflation en Europe. Pas de pause dans l’ascension des taux de la Banque centrale européenne (BCE). Cette hausse impactera et dans le court terme la Tunisie. Explications…
Par Moktar Lamari *
L’institution de Francfort a procédé jeudi 15 juin 2023 à un nouveau relèvement de ses taux directeurs – le huitième d’affilée – d’une ampleur d’un quart de point.
En Europe, le taux de dépôt est passé à 3,5%, le taux de refinancement à 4% et celui de la facilité de prêt marginal à 4,25%. Le taux de dépôt évolue désormais à son plus haut niveau depuis mai 2001.
Poursuites des pressions inflationnistes
Cette décision était attendue. Certes, l’inflation globale a bien décéléré en mai. Mais la présidente de la BCE, Christine Lagarde, a rappelé qu’il n’y avait pas de signes clairs que l’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentation) avait atteint son pic. Elle s’est inquiétée notamment des pressions inflationnistes provoquées par les hausses de salaires.
La BCE a publié ses nouvelles projections économiques. Si celles portant sur l’inflation globale sont restées assez stables, les anticipations d’inflation sous-jacente ont été revues significativement à la hausse pour 2023 et 2024.
Elles sont passées respectivement de 4,6% et 2,5% à 5,1% et 3%. En cause, une progression des rémunérations qui dépasse 4,6% en moyenne. Même si, pour l’instant, la BCE ne constate pas de spirale prix-salaires qui s’autoalimenterait.
Les prévisions portant sur la croissance européenne ont été rabaissées, pour prendre en compte notamment le fait que la zone euro est entrée en légère récession. Un signe que le resserrement monétaire commence à porter ses fruits, tout comme la contraction de l’activité des prêts bancaires en zone euro. Cela ne devrait pas faire dévier la BCE. «Nous n’envisageons pas de faire une pause», a déclaré Christine Lagarde.
Les impacts sur la Tunisie
Cette hausse impactera et dans le court terme la Tunisie de trois façons.
Un, le taux directeur de la BCE fait partie du panier de données qui déterminent le taux d’intérêt utilisé par le FMI pour prêter aux pays comme la Tunisie. Le taux de charge du FMI est ce soir fixé à 4,87%. Il sera révisé cette fin semaine pour tenir compte de la hausse du taux directeur européen. Je parie que le taux FMI dépassera les 5% prochainement, question de jours et pas de semaines. Cela fera payer la Tunisie plus cher les 2,3 milliards de dollars qu’elle doit au FMI. L’impact de cette hausse n’est pas négligeable.
Deux, cette hausse des taux va probablement influencer les montants des fonds envoyés par les expatriés tunisiens. Elle va aussi agir sur la demande touristique en France. La Tunisie se place en 4e place de la demande française pour juillet et août. La hausse des taux réduit à la baisse la demande touristique, généralement payée par tranche, et donc avec des frais d’intérêt.
Ces deux éléments conjugués vont jouer pour que les réserves en devises de la Tunisie ressentent l’onde de choc de la hausse des taux en Europe.
Trois, la Tunisie a une importante dette envers l’Europe, son taux d’intérêt est accroché aux taux directeurs, européens en autres! Cela se facturera en millions d’euros et pas en milliers à terme.
Les importations libellées en euros vont aussi coûter plus cher pour la Tunisie.
Une bonne partie de la dette tunisienne envers les banques locales est libellée en euros, et la valeur de l’euro est fortement corrélée aux taux d’intérêt européens.
Tous ces éléments conjugués feront hausser la valeur de l’euro face au dinar. Surtout que les réserves en devises de la Banque centrale en Tunisie sont en train de s’effriter.
Mais, ici la Tunisie ne peut qu’accepter cette évolution exogène à sa volonté. On peut juste espérer qu’elle importe moins et compte sur ses productions locales et des produits de type import-substitution.
* Economiste universitaire.
Blog de l’auteur. Economics For Tunisia, E4T.
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