Selon les états financiers de «la» clinique, il y aurait moins de dépenses en pharmacie, moins d’activités dans la clinique, et plus d’honoraires pour les médecins. Une couleuvre dure à avaler...
Par Dr Mounir Hanablia *
Comme c’est désormais la norme, le rapport annuel de l’activité de la clinique suscite plus de questions qu’il n’apporte de réponses, y compris pour le profane peu au fait des résultats financiers.
La nouveauté se situe d’abord dans la manière avec laquelle les actionnaires ont été convoqués, par e-mail; il paraît que la législation a évolué en la matière, et visiblement la direction de l’établissement n’avait nul désir d’accorder un délai de grâce supplémentaire. Est-ce du fait des résultats de l’exercice qui risquent de susciter des débats orageux dont le conseil d’administration et la direction générale se passeraient volontiers?
L’assistance risque donc d’être plutôt clairsemée cette année à l’assemblée générale, et on réalisera sûrement des bénéfices sur les salés et les petits gâteaux. Les serveurs de l’hôtel seront probablement rarement à pareille fête.
Un énorme mystère
Il est vrai que la clinique a réalisé un chiffre d’affaires moindre par rapport à la précédente, malgré des investissements pharaoniques, de l’IRM et au fameux data center dont personnellement je ne comprends toujours pas à quoi il peut servir. On a attribué cela à la sortie de la pandémie au Covid. Le malheur des uns a ainsi fait le bonheur des autres.
L’étrangeté se situe tout de même dans le chiffre d’affaires en baisse de la pharmacie interne qui représente 41% du chiffre d’affaires total, et de l’accroissement normal des frais généraux et de la masse salariale, l’un compensant l’autre, selon le rapport. Or avec l’inflation et la dévaluation du dinar, un tel abaissement des frais de la pharmacie interne est hautement improbable, d’autant que ceux-ci s’accompagnent normalement pour la clinique d’une élévation concomitante des bénéfices: elle achète des produits et les facture aux clients en réalisant des bénéfices, et c’est même sa principale source de revenus.
Il y a là un mystère de la pharmacie interne, un terme générique qui passe sous silence le détail des dépenses/bénéfices en fonction des spécialités. Mais comme la chirurgie réalise 10% du chiffre d’affaires avec un taux d’occupation du bloc opératoire qui n’atteint pas 50%, et que la radiologie en réalise 17%, il ne faut pas être grand clerc pour deviner vers quels secteurs est affectée la majorité des dépenses.
Dans ce contexte la pharmacie interne du cathétérisme cardiaque, 1% de l’activité selon le rapport, demeure nimbée de mystère. Il y a donc un énorme mystère de la pharmacie interne qui n’est pas encore éclairci. Et la baisse du nombre de malades dont on prétend qu’elle explique celle du chiffre d’affaires n’a pas été détaillée là non plus en fonction des spécialités affectées, pour être convaincante. Circulez, il n’y a rien à voir !
On a par ailleurs appris que les malades tunisiens se font de plus en plus rares, les Libyens et les Subsahariens de plus en plus nombreux, et que les payants dépassent largement ceux bénéficiant de prises en charge.
A cet effet, la Cnam ne pourvoit plus que 14% de l’activité, et ceci peut expliquer le conflit qui depuis 2018 l’oppose au syndicat des propriétaires des cliniques, qui prétend ne plus se soumettre à ses tarifs, selon lui nettement insuffisants étant donnée la hausse des coûts.
Il y aurait donc bien une hausse des coûts sauf pour la pharmacie interne?
D’un mystère l’autre
L’autre mystère, c’est évidemment l’accroissement spectaculaire de la masse des impayés, qui depuis l’arrivée de l’actuel directeur général en 2019, et ne lui en déplaise, est passée de 31 millions, à 42 millions de dinars. Autrement dit, la clinique travaille, fournit des services, paie ses fournisseurs, et s’acquitte des impôts sur des rentrées financières qu’elle n’a pas encore réalisées. Tout cela est simplement porté au compte des actifs dans le bilan financier, équilibré cela s’entend.
A titre comparatif, il faut préciser que le capital social de la clinique est d’un peu plus de 26 millions de dinars. Quand la clinique sera-t-elle remboursée? Interrogé à ce sujet, l’année dernière, le directeur général a avoué n’en rien savoir et s’est disculpé en précisant qu’il s’agissait de la somme des impayés depuis l’ouverture de la clinique. Dans ces conditions, comment savoir quand ces impayés seront enfin remboursés?
Il y a évidemment les audits externes et internes chargés de débusquer les éventuels lièvres, mais la condamnation du cabinet new yorkais d’audit financier Arthur Andersen avait déjà démontré les liens troubles que les auditeurs peuvent entretenir avec leurs clients. Et donc un rapport financier dont la sincérité, promis, juré, est garantie par le même expert comptable des années précédentes, n’apporte, en dépit de tout, aucun certificat d’intégrité.
Il y a ainsi des choses qui sont exposées au grand jour, d’après ce qu’on nomme le principe de l’excès d’évidence, qui énonce que la meilleure façon de dissimuler consiste paradoxalement à exposer au grand jour. Selon ce principe, les impayés, ce n’est pas grave, même s’ils s’accroissent d’année en année, même s’il n’existe aucune garantie à ce qu’ils soient remboursés, même si on ignore qui sont les débiteurs, ou quand ils s’acquitteront de leurs dettes, même si les sommes en cause dépassent largement le montant du capital social.
Évidemment, personne ne pose la bonne question, celle de savoir ce qui arriverait s’il s’avérait que ces 42 millions ne soient jamais remboursés. Il est vrai que la majorité de la fraction qui compte parmi les actionnaires y trouve son compte, et l’élévation constante du total annuel des honoraires médicaux est là pour en témoigner. Il y aurait donc moins de dépenses en pharmacie, moins d’activités dans la clinique, et plus d’honoraires pour les médecins. Et il faudrait en plus nous faire avaler cela?
* Médecin de libre pratique.
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