Ons Jabeur porte le poids de nos espoirs et de nos désillusions

Dans son post Facebook que nous reproduisons ci-dessous, l’auteur, patron de Cérès Editions et grand amateur de tennis, explique, à sa manière, les sentiments contradictoires et confus qu’inspire l’aventure cahoteuse, mais passionnante et inspirante, de la championne tunisienne de tennis Ons Jabeur.       

Par Karim Ben Smaïl *

Ons Jabeur en demi finale de Wimbledon… Je démissionne officiellement de mon statut (auto-attribué) d’expert en la matière. C’est la moindre des choses après avoir proclamé haut et fort:

– qu’avec 4 kg de trop on ne peut pas faire plus de 2 tours en grand chelem;

– que tant que son préparateur physique est le mec qui est dans son lit tous les soirs, il est invirable, donc cela limite ses horizons de progression;

– que tant qu’elle ne devient pas une tueuse froide et cynique; tant qu’elle n’abandonne pas cette quête continue d’amour, ces hugs exagérés en fin de match, ces confidences sur son mari en salle d’interview, elle ne pourra pas accéder au top;

– que tant qu’elle n’aura pas réussi à dépasser ses problèmes de concentration, cette nécessité de flirter avec l’abîme avant de gagner, elle perdra des matches qu’elle doit gagner. Tout cela évoque des problèmes psychologiques sous-jacents qui ne sont pas traités: aller vomir dans les bâches pendant les matchs! C’est quoi cette psychologue à quart temps qui semble avoir sur elle un ascendant excessif… amateure. Ça va foirer!

Tout faux. Je démissionne.

Ons c’est ma fierté blessée

Je ne suis plus capable d’analyser un match de tennis quand c’est Ons qui joue. Ons c’est moi, c’est mon pays, ma fierté blessée, mes peurs et mes complexes de Tunisien qui se la joue cool mais qui est plombé par ce qu’il vit.

Ons c’est l’invraisemblable pour le passionné de tennis que je suis: une Tunisienne à Wimbledon, un peu comme la démocratie en Tunisie voyez vous: ce n’est pas pour nous, c’est pour «les autres», nous on ne peut que rêver un peu, puis se réveiller à notre médiocrité, illusion familière.

Nos accélérations sont belles mais sans lendemains. Nos prix Nobel sont acclamés mais creux. Nos amortis sont nécessairement trop faciles, fake, dans le filet. Et nos espoirs, nos breaks sont toujours promis au contre-break. Quand Ons sourit c’est le rictus de l’autre qui semble lui répondre dans ma tête. Quand elle bouge comme un fauve, c’est la rigidité cadavérique de l’autre qui semble vaciller, et quand elle trouve des solutions, ce superbe coup droit, ce smash imparable, cette première balle assassine semblent nous dire: il y a des solutions, à la farine et au pain et qui manquent, au racisme honteux, à la parole confisquée, à nos jeunes qui se noient…

Belle leçon pour l’avenir

Ons porte ce poids, cet espoir et cette désespérance, immense poids de notre désillusion. Balle après balle, elle montre le chemin. Nous avons peur qu’elle perde parce que nous avons peur de perdre espoir.

Alors je démissionne, je rejoins mon statut de spectateur émerveillé et j’essaye d’apprendre à exister au monde. Merci Madame. Et bravo.

Dans ma vie il y aura eu deux grands moments que nul ne pourra m’enlever et qui m’enchantent: j’ai vu la démocratie dans mon pays; et j’ai vu une Tunisienne sur le toit du monde tennistique. Tout est possible, belle leçon pour l’avenir.

* Editeur.

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