Tunisie : Kaïs Saïed et le mirage des biens spoliés

Kaïs Saïed continue de courir des mirages et de faire miroiter des gains providentiels aux Tunisiens embourbés dans la crise. Il parle encore de «milliers de milliards» spoliés au peuple et que l’Etat, dont il contrôle tous les leviers, ne parvient pas encore à récupérer.

Par Imed Bahri

Le président de la république est revenu à cette question hier, lundi 28 août 2023, lors d’une réunion au Palais de Carthage, avec le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Mohamed Rekik, et le commissaire général du contentieux de l’Etat, Ali Abbès.

Le chef de l’Etat a appelé à lancer des poursuites judiciaires contre tous ceux qui ont volé les biens du peuple tunisien après le 14 janvier 2011, et à accélérer le dépôt des demandes, accompagnées de toutes les preuves, pour prolonger le délai de gel des fonds pillés à l’étranger, sachant que la date limite pour le dépôt de ces demandes est la fin de ce mois. «Tout retard pourrait profiter à ceux qui pillent l’argent du peuple tunisien depuis des décennies», souligne le communiqué publié par la présidence de la république.

A qui la faute ?

Saïed a souligné que les demandes de report auraient dû être faites plus tôt, et non deux jours avant la date limite, oubliant (ou feignant d’oublier) qu’il préside lui-même la commission chargée de la restitution des fonds spoliés à l’étranger, créée au début de son mandat en 2020, et qu’il est en partie responsable des manquements qu’il reproche aujourd’hui à… ses subalternes.

La réunion a aussi discuté «de la longueur des procédures et des conditions loin d’être innocentes des Etats et des banques où sont déposés les fonds pillés, car certains d’entre eux veulent un verdict contradictoire contre les accusés, sachant avec certitude qu’ils ont fui à l’étranger», ajoute le communiqué.

L’expérience a également montré que «dans certains pays, les condamnations prononcées ne sont appliquées qu’après plusieurs décennies et les personnes dont l’argent a été volé ne reçoivent que les miettes qui restent. Il existe de nombreux exemples de ces pratiques, qui contredisent les principes des droits humains les plus fondamentaux», a ajouté le communiqué, qui cherche à justifier l’absence de résultat dans ce dossier par le manque de coopération des Etats où fonds pillés sont déposés. Et non aux autorités tunisiennes qui sont incapables de constituer des dossiers en béton acceptables par des juridictions étrangères. Et qui ont, en plus, dépensé en vain d’énormes sommes en frais d’expertise et de défense devant des tribunaux en Suisse, en France, au Canada et ailleurs.    

Saïed a souligné que «si le peuple tunisien avait récupéré ces fonds qui lui appartiennent et se chiffrent en milliers de milliards provenant de comptes bancaires, de biens immobiliers et de biens mobiliers, il ne vivrait pas cette crise financière; il a l’argent du peuple et veulent le prêter aux Tunisiens à leurs conditions».

Il vaut mieux retrousser ses manches

Le chef de l’Etat a souligné la nécessité que l’action diplomatique aille de pair avec l’action judiciaire, insistant sur la nécessité de soulever cette question dans le cadre des organisations internationales et régionales afin d’unifier les positions des pays qui ont vu les biens de leurs peuples volés.

Cela dit, les questions qui se posent sont les suivantes : Pourquoi tout cela n’a-t-il pas été fait à chaud, au lendemain de la chute de l’ancien régime ? Et est-ce que cela a aujourd’hui un sens, sachant que nos autorités judiciaires ne sont pas mieux outillées qu’elles l’étaient auparavant pour instruire des dossiers recevables par leurs homologues étrangères? Ne serait-il pas plus judicieux de cesser de faire miroiter aux Tunisiens ces mirages de gains providentiels et de les appeler à retrousser leurs manches, à redoubler d’effort et à suer pour redresser la situation dans leur pays, lequel, paradoxalement, se portait beaucoup mieux qu’aujourd’hui ?

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