Les coups d’État au Niger et au Gabon pourraient aggraver les pressions migratoires et l’afflux de ressortissants subsahariens vers la Tunisie, même si les deux pays ne partagent pas de frontières avec notre pays, avertit l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), qui ajoute que les impacts économiques directs seraient très limités, en raison de la faiblesse des échanges de la Tunisie avec ces pays.
«La Tunisie est actuellement la porte d’entrée la plus courte vers la Méditerranée et l’Europe. Par ailleurs, le pays, qui peine encore à gérer le flux de milliers de migrants sur son territoire, pourrait faire face à une nouvelle pression migratoire à ses frontières», indique l’IACE dans un rapport intitulé «Coups d’État au Niger et au Gabon : quelles implications pour la Tunisie ?»
Cette nouvelle pression pourrait générer des flux mixtes de réfugiés et de migrants, ainsi que des risques liés au terrorisme ou à diverses activités illégales, comme la traite des êtres humains ou le trafic transfrontalier illégal, prévient l’IACE.
Implications sur les flux migratoires
Outre les implications directes d’un mouvement exceptionnel de migrants vers la Tunisie, notamment en termes de capacité à gérer les flux, la Tunisie serait également confrontée à des pressions renouvelées de la part de ses partenaires européens pour restreindre les traversées vers la Méditerranée depuis les côtes tunisiennes. Ceci est conforme aux engagements pris dans le mémorandum d’accord du 16 juillet 2023 entre la Tunisie et l’UE.
Compte tenu de sa situation centrale dans la région du Sahel, le Niger est l’un des principaux points de transit sur la route migratoire de l’Afrique de l’Ouest et centrale vers l’Afrique du Nord, en particulier la Libye et la Tunisie, et finalement la Méditerranée, indique le document. Il ajoute que ces dernières années, ce pays africain est devenu une destination tant pour l’installation que pour le rapatriement des migrants.
Depuis le coup d’État, plus de 7 000 migrants sont bloqués au Niger, incapables de retourner dans leur pays d’origine, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
L’instabilité provoquée par le coup d’État, la détérioration des conditions socio-économiques due aux sanctions économiques contre le régime militaire du Niger et la possibilité d’une intervention militaire sont autant de facteurs qui pourraient accroître les mouvements de population et exacerber les déplacements internes et transfrontaliers au Niger.
Le document de l’IACE souligne également que, selon l’OIM, l’afflux de population a déjà augmenté de 20 % au premier trimestre 2023.
Un impact économique indirect
Cependant, l’impact des coups d’État au Niger et au Gabon sur la Tunisie ne peut être considéré comme direct, souligne l’IACE.
«Le volume limité des échanges commerciaux entre la Tunisie et le Niger et la présence économique réduite de la Tunisie au Gabon suggèrent que l’impact économique direct des coups d’État dans ces deux pays africains reste limité», estime l’IACE.
«Le coup d’Etat au Niger et le coup d’Etat militaire au Gabon ne peuvent avoir un impact direct sur la Tunisie car ces pays ne sont ni voisins ni partenaires économiques majeurs», souligne l’IACE dans le même document.
Les auteurs du document affirment que l’impact économique du coup d’État au Niger sera négligeable à court terme. Cependant, les projections économiques, tant au niveau bilatéral que régional, indiquent un réel potentiel de développement.
En effet, le Niger est le 16e partenaire commercial africain de la Tunisie, représentant moins de 1% de ses exportations vers le continent. Malgré l’existence d’un vol régulier Tunisair entre Tunis et Niamey depuis 2016 et l’établissement de relations commerciales préférentielles depuis 1982, dont une réduction de 50% des droits de douane, les relations économiques restent relativement modestes. Et la Tunisie peine à s’imposer comme un partenaire privilégié du Niger, malgré le potentiel économique considérable du pays (la croissance est comprise entre 7 et 9% depuis plusieurs années). Il s’est limité à quelques investissements, portés par un secteur privé peu compétitif dans l’une des régions les plus recherchées du continent.
«Des opportunités existent au Niger, notamment dans les secteurs agricole et minier, qui sont les piliers de l’économie nigérienne. Il existe également des perspectives dans les services à valeur ajoutée, où la Tunisie possède une certaine expertise», indique le document.
Selon l’IACE, la Tunisie gagnerait à redoubler d’efforts autour d’un partenariat public-privé visant à explorer le marché nigérien et à forger de nouvelles synergies économiques dans des secteurs porteurs.
Possible suspension des projets régionaux
Sur le plan régional, la Route transsaharienne (TSH), un corridor terrestre reliant le Nigeria, le Niger, le Mali, le Tchad, l’Algérie et la Tunisie (comprenant trois pays côtiers et trois pays enclavés), présente un potentiel commercial et économique important, comme le souligne le rapport.
Par ailleurs, le document affirme que ce projet ambitieux, couvrant une population de plus de 400 millions de personnes dans les régions du Maghreb et du Sahel, favorisera l’intégration économique entre les six pays riverains de la TSH et donnera accès aux ports méditerranéens à 16 pays d’Afrique de l’Ouest. «Il permettra ainsi d’assurer la connectivité de nombreux pays, dont le Niger, et de faciliter la circulation des marchandises dans toute la zone», précise le document.
En plus, souligne le document, cette route ouvrira des opportunités de connexions énergétiques et de développement des réseaux numériques entre le Sahel, le Maghreb et l’Europe, notamment avec le projet Trans-Saharian Optical Fiber Backbone (TSB), qui vise à pour relier le Niger, l’Algérie, le Nigeria et le Tchad à travers une infrastructure de fibre optique de 1 510 km.
«Les bénéfices potentiels pour la Tunisie sont considérables, notamment au vu de la mise en place de l’interconnexion électrique entre la Tunisie et l’Europe du Sud (Elmed) et de l’intégration au réseau européen à très haut débit Medusa, qui relie 10 pays méditerranéens via un câble sous-marin», souligne le document de l’IACE.
Quant au projet de gazoduc transsaharien entre le Nigeria et l’Algérie, l’institut y voit également un autre projet structurel et porteur de potentiel économique. «Cet axe, s’étendant sur 4 000 kilomètres, permettra le transit du gaz nigérian par l’Algérie, avec la possibilité pour l’Algérie de transporter ensuite le gaz via Transmed, reliant le pays à l’Italie via la Tunisie», soulignent les auteurs.
Concernant le Gabon, les auteurs du document estiment que l’impact économique des récents changements politiques sur la Tunisie est négligeable, compte tenu de la coopération bilatérale naissante avec ce pays.
Enfin, le document exprime son inquiétude quant au fait que, compte tenu de l’évolution de la situation sécuritaire sur le terrain, ces projets, conçus par leurs architectes comme des catalyseurs de croissance et de stabilité, pourraient être suspendus, voire menacés.
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