L’hydrogène, qu’on nous vante aujourd’hui comme une énergie alternative pour produire de l’électricité, n’est peut-être pas aussi verte que nous le présentent les Européens. Ces derniers veulent développer cette technologie en Tunisie pour en faire un élément clé pour la production et l’exportation de «l’hydrogène vert» vers l’Europe. Le but inavoué étant de baisser les émissions de carbone en Europe au prix d’une destruction de l’environnement au sud de la Méditerranée. Explications…
Par Imed Bahri
La Tunisie est l’un des pays les plus secs d’Afrique et vient de subir trois années de sécheresse. Pourtant, l’UE considère que notre pays pourrait contribuer à produire de l’électricité à partir de l’hydrogène et l’exporter vers l’Europe. Le problème est que ce carburant est obtenu en divisant l’eau en oxygène et hydrogène avec de l’électricité produite par des sources renouvelables. Mais le problème est que la Tunisie a beaucoup de soleil mais peu d’eau douce.
La seule manière de produire la matière première nécessaire à l’hydrogène vert est d’aspirer l’eau de la Méditerranée et de la dessaler. Mais un rapport publié l’année dernière pour la Fondation Heinrich Böll, affiliée au mouvement politique vert allemand, prévient qu’il s’agirait d’un processus sale, énergivore et gourmand en eau – et qui ferait peser le coût élevé de la décarbonisation du monde riche sur les épaules des nations les plus pauvres.
Le carburant du futur
En d’autres termes, les faibles émissions de carbone en Europe se feront demain au prix d’une destruction de l’environnement au sud de la Méditerranée.
De nombreux pays ensoleillés, notamment au Maghreb, se sont vu vendre un avenir en tant que pôles d’exportation de l’hydrogène vert. Le pitch est séduisant. Étant donné qu’un kilo d’hydrogène contient environ trois fois plus d’énergie qu’un kilo d’essence, il n’est pas étonnant que l’hydrogène soit présenté comme le carburant du futur. Le pacte vert européen, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici la fin de la décennie, repose sur la production d’hydrogène vert en Afrique du Nord et en Ukraine.
Produire de l’hydrogène vert en Europe n’est pas impossible. Mais cela coûte cher par rapport aux combustibles fossiles, et même la production éolienne nécessite des subventions plus importantes. Sans d’importantes mesures de soutien gouvernementales, la question reste ouverte de savoir si les consommateurs européens seraient prêts à supporter les hausses de prix très importantes nécessaires pour passer au vert de cette manière.
L’année dernière, l’UE a proposé de doubler les importations d’hydrogène vert d’ici 2030 pour atteindre 10 millions de tonnes par an. Les industries lourdes du continent ne peuvent pas utiliser l’électricité, même respectueuse de l’environnement, pour tous leurs besoins ; ils ont besoin de combustibles pour une chaleur à haute intensité. Alors pour s’assurer que ces sources d’énergie soient moins carbonées, Bruxelles pousse les industries – comme les fabricants d’acier ou de pétrochimie – à adopter l’hydrogène vert.
Dégradation des écosystèmes marins
Les bénéfices d’une telle stratégie – avec l’objectif souhaitable de faibles émissions de carbone en Europe – ne peuvent pas se faire au prix d’une destruction de l’environnement à l’étranger. Raoudha Gafrej, l’un des plus grands experts tunisiens de l’eau, a averti dans le rapport de la Fondation Heinrich Böll que la dégradation des écosystèmes marins due aux boues toxiques produites par les usines de dessalement serait irréversible.
L’hydrogène produit par les énergies renouvelables a un rôle à jouer dans les futurs systèmes énergétiques. Sa version «verte» peut être convertie en ammoniac, une matière première essentielle pour les engrais, avec d’autres utilisations dans le transport de carburant, la production d’électricité et la fabrication de l’acier.
Il faut également tenir compte des pertes d’énergie importantes : environ un tiers de l’énergie utilisée pour produire le gaz par électrolyse est perdu. Le transport de l’hydrogène nécessite une énergie supplémentaire, équivalente à 10% de l’énergie du carburant lui-même.
Du point de vue des pays africains, comme le souligne le récent rapport sur une transition juste, l’énergie pourrait être utilisée localement pour répondre aux besoins immédiats plutôt que d’être utilisée pour produire de l’hydrogène destiné à être utilisé en Europe.
«Moins de 0,04% de la production totale d’hydrogène est ‘‘verte’’. Cette proportion est vouée à augmenter à mesure que les gouvernements du monde entier parient qu’elle jouera un rôle clé dans la réduction des émissions lourdes de carbone dans des industries telles que la fabrication du ciment. Avec une quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère déjà de 422 parties par million (ppm) – bien plus élevée que les 350 ppm généralement considérés comme un niveau relativement sûr – il n’y a aucune possibilité d’aggraver le problème», écrit The Guardian dans un récent éditorial, Mais le journal s’empresse de prévenir: «La transition vers zéro émission nette à l’échelle mondiale ne devrait pas permettre aux riches de gagner au détriment des pauvres.»
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