Il est étrange que le fils du chah d’Iran, réfugié aux Etats-Unis, prétende aujourd’hui parrainer une opposition iranienne qualifiée de démocratique, avec le soutien sioniste, afin de renverser le régime des mollahs. Il devrait pourtant prendre en compte le destin tragique de son père pour comprendre qu’on ne puisse faire confiance ni aux administrations américaines, ni aux Israéliens.
Par Dr Mounir Hanablia *
Ce livre a été écrit par l’ancien chah d’Iran, en 1980, environ une année après son départ en exil, le triomphe de la révolution iranienne, et la prise du pouvoir par les mollahs, mais avant les débuts de la guerre Iran-Irak et l’invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique.
C’est aussi son testament politique puisqu’il a précédé son décès de quelques semaines. On peut supposer que, souverain déchu se sachant condamné à brève échéance par la maladie, il ait tenu à régler ses comptes avec l’Histoire, ou plus précisément à laisser un dernier témoignage sur les évènements qui ont marqué la fin de sa vie. On lui pardonnera sa puérilité, celle d’avoir essayé de convaincre qu’il était un homme aussi pieux que les ayatollahs; les Bahamas ne sont en effet pas un lieu habituel de pèlerinage, et les ayatollahs se sont révélés être de piètres exemples de piété.
C’est donc un homme malade et amer, brisé sans doute, qui s’est exprimé, dont l’objectivité aura certainement été, au moment de la rédaction du livre, sujette à caution. Néanmoins, sa lecture 43 ans après à la lueur des faits survenus ultérieurement en fait un document certainement digne d’intérêt.
En 1977, l’Iran produisait près de 6 millions de barils de pétrole par jour, son taux de croissance économique annuel était de plus de 12%, il employait 1 million d’étrangers, et sur 20 ans il avait multiplié le salaire moyen des travailleurs de 16 fois. Le taux d’alphabétisation dépassait les 80%. C’est alors que le pays s’est embrasé.
Le rôle très ambigu des Etats-Unis
Pourquoi une telle prospérité a-t-elle entraîné une contestation aussi impétueuse? Le chah l’a expliqué par ce qu’il a appelé l’alliance Rouge et Noir, entre les communistes, selon lui à la solde de l’Union Soviétique, et le clergé chiite. Il se trompait complètement, et ce ne serait pas la moindre de ses erreurs.
La suite des événements a démontré la facilité avec laquelle les communistes (Toudeh) et l’extrême gauche (Mujahedin e Khalq, Fedayin e Khalq) ont été balayés par les Mollahs.
Par contre, il a parfaitement ciblé le rôle très ambigu joué par les Etats-Unis d’Amérique dans son départ. Il ne faut pas oublier comment en 1953 la CIA avait renversé le Premier ministre élu Mossadegh qui avait nationalisé le pétrole, cela avait permis au chah de retrouver le trône dont il avait été chassé en 1951. Mais les Etats-Unis sous Jimmy Carter ne joueraient plus le même rôle que sous Eisenhower; avec le développement de la crise, ils avaient envoyé à Téhéran le chef d’état major adjoint de l’Oran, le Général Huyser, qui avait débarqué secrètement et était entré en contact avec les chefs des partis d’opposition, le Front National, et le Mouvement de Libération de l’Iran, ainsi qu’avec le chef d’état major de l’armée, le général Gharabaghi. Pendant ce temps, l’Ayatollah Khomeiny, réfugié à Neauphles-le-Château en France, avait eu toute latitude d’alimenter par ses déclarations incendiaires la contestation, les grèves, les manifestations, et le blocage du pays.
L’Occident lâche son plus gros client
A un moment crucial, l’Occident avait donc lâché son plus gros client en armements, l’un de ses plus grands fournisseurs de pétrole et de gaz naturel, celui dont le pays constituait un verrou stratégiques entre les ambitions soviétiques et le golfe arabo-persique, qui avait mis à mal les ambitions panarabes de Saddam Hussein en le contraignant à un partage humiliant des eaux du Chatt El-Arab pour l’établissement de la frontière.
Une campagne médiatique internationale de grande ampleur fut déclenchée contre le régime impérial, coupable de ne pas tolérer d’opposition politique et de violer les droits de l’homme. Selon le chah, le régime avait justement démarré un train de réformes politiques, et il avait nié toutes les accusations portées contre la Savak, comparée à tout autre organisme de sécurité d’État chargé de lutter contre l’espionnage et la subversion. Après les exactions du régime révolutionnaire à ses débuts, il avait eu beau jeu d’affirmer que durant son règne jamais une aucune répression ne s’était exercée contre autant de personnes, de surcroît hors tout cadre légal.
Enfin pour conclure il attribuait cette cabale regroupant le gouvernement américain, les mollahs, les communistes, les médias, et les défenseurs aux doits humains, au mécontentement des grandes compagnies pétrolières contre ses demandes de hausse du prix du pétrole dans le cadre de l’Opep ayant conduit à l’embargo de 1973 lors de la guerre israélo-arabe, d’une part plus importante des bénéfices pour les pays producteurs, ainsi que de la diversification des sources d’énergie, en particulier par l’installation d’un parc nucléaire composé de 9 centrales capables d’assurer à son pays une production énergétique suffisante indépendante de celle du pétrole et du gaz.
Les Etats-Unis s’installent durablement dans le Golfe
Au moment où ces accusations étaient portées sans être prises très au sérieux, personne ne savait pas qu’une guerre de 9 ans opposerait quelques semaines plus tard l’Iran à l’Irak, dont les deux pays sortiraient meurtris, que Saddam envahirait le Koweït, déclenchant la première guerre du Golfe, suivie de l’occupation de l’Irak 12 ans après, et que l’armée américaine s’installerait à demeure dans le Golfe, où elle se trouve toujours.
A sa décharge on avouera que le sort ne lui a pas été plus favorable qu’à un certain nombre de ses amis. Enrico Mattei, le président italien de l’ENI, avec qui le chah avait réalisé un accord avantageux sur le pétrole, mourut dans un accident dans son avion personnel. Ceausescu, auquel le liait une véritable amitié, fut assassiné en 1989 de la manière que l’on sait. Sadate, chez qui il se réfugia jusqu’à sa mort, fut assassiné en 1981. Noriega, son hôte du Panama, a été jugé et emprisonné à vie par les Américains pour trafic de drogue. Quant à Jimmy Carter, le changement en Iran ne lui porta pas bonheur, il eut à affronter l’affaire des otages de l’ambassade de Téhéran et l’échec de leur sauvetage, qui lui coûtèrent sa réélection.
La chute du chah d’Iran fut certainement un événement majeur à l’origine de tous les bouleversements ultérieurs, des trois guerres du Golfe à celles d’Afghanistan et du Yémen, du Liban et de Gaza. Elle fut sans aucun doute issue d’un choix stratégique américain, celui de se débarrasser des régimes nationalistes et modernistes qualifiés de radicaux dans les Etats pétroliers, au bénéfice d’autres, conservateurs et rétrogrades, capables de déstabiliser les républiques musulmanes de l’Asie Centrale soviétique, tout en assurant une présence militaire US permanente dans la région.
Il est certain que cette politique-là eut aussi des effets que les Américains avaient été loin de prévoir, en particulier la montée en puissance du Hezbollah, et les attentats du 11 septembre 2000. Si aujourd’hui leurs armées campent effectivement dans le Golfe dont la plupart des Etats ont signé des accords de paix avec Israël, le défi nucléaire que l’Iran pose n’est toujours pas résolu, pas plus que le potentiel militaire du Hezbollah, ni même celui du Hamas, pour ne pas dire l’ensemble de la question palestinienne, de nouveau sur le tapis avec la 6e guerre de Gaza.
Il est donc étrange que le fils du chah, réfugié aux Etats-Unis, prétende aujourd’hui parrainer une opposition iranienne qualifiée de démocratique, avec le soutien sioniste, afin de renverser le régime des mollahs. Il devrait pourtant prendre en compte le destin tragique de son père pour comprendre qu’on ne puisse faire confiance ni aux administrations américaines, ni aux Israéliens.
* Médecin de libre pratique.
‘‘Réponse à l’Histoire’’, de Mohammad Reza Pahlavi , éd. Albin Michel, 288 pages, Paris, 13 décembre 1979.
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