«Dans une décennie, l’Axe de la Résistance sera dans l’Est de l’Asie et dans le Caucase» : la déclaration est de Jaafar Husseïni, porte-parole militaire de Kataeb Hezbollah, la dénomination officielle du Hezbollah irakien sur la chaîne al Mayadeen, mardi 9 janvier 2024. Décidément, l’axe pro-iranien ne se limite plus au Moyen-Orient et a de grandes ambitions! Son interview est une plongée dans la géopolitique de la Mouqawama, la dénomination de l’axe pro-iranien.
Par Imed Bahri
Tout le monde connaît le Hezbollah libanais et son célèbre secrétaire général Hassan Nasrallah. Tout le monde connaît le Hamas et ses dirigeants qu’ils soient en vie ou disparus de Cheikh Ahmed Yassine à Ismaïl Haniyya en passant par Abdelaziz Rantissi, Khaled Mechaal, Yahya Sinwar, Mohamed Deïf, Saleh Arouri ou encore Khalil El-Hayya. Beaucoup de gens ont appris à connaître le groupe yéménite Ansar Allah connu sous la dénomination des Houthis par référence à son chef Abdelmalek Badreddine Al-Houthi.
Cependant, le Hezbollah irakien (totalement indépendant du libanais) reste le groupe le moins connu dans l’axe pro-iranien ou l’axe de la Résistance comme il est appelé par ses partisans. À l’exception du Hamas et du Jihad Islamique palestiniens, toutes les factions de cet axe sont chiites. Le ciment de cet axe est l’opposition au projet américain et sioniste dans la région. Une opposition frontale à la présence américaine dans la région et à l’existence d’Israël, nommé l’entité usurpatrice par les factions de l’axe. L’interview de Jaafar Husseïni permet de mieux connaître et comprendre le Hezbollah irakien ainsi que ses objectifs et sa vision.
Genèse et développement du Hezbollah irakien
Tout d’abord, il faut indiquer que le Hezbollah irakien a été fondé en 2003 au lendemain de la chute de Saddam Husseïn, le mouvement est âgé exactement de 20 ans. Husseïni affirme qu’il s’est développé aussi bien sur le plan humain (nombre de combattants) que sur le plan logistique (capacité en armement). En 2003, les experts évaluaient ses effectifs à 400 membres et aujourd’hui à des milliers, certains parlent de 20 000 combattants. Quant aux capacités en armement, Jaafar a déclaré que le mouvement possède des missiles de différentes catégories: de courte portée comme le Aqsa I mais aussi des missiles Cruise et des missiles balistiques de moyenne et longue portée et également des drones. Le développement concerne aussi les cibles du Hezbollah irakien.
Suite à l’opération Déluge d’Al-Aqsa, les cibles du mouvement ont concerné d’abord les bases américaines en Irak et en Syrie étant donné que les États-Unis y sont considérés comme une puissance occupante mais aussi comme principal protecteur et soutien d’Israël. Quant à la seconde cible c’est Israël, l’entité usurpatrice dont Husseïni indique qu’elle a été ciblée par des missiles de longues portée qui ont visé aussi bien la région de la Mer morte, qu’Eilat -ville portuaire sur la Mer Rouge- ainsi que la façade méditerranéenne et précisément la ville de Haïfa.
Les Arabes du Golfe en point de mire
Husseïni déclare qu’ils comptent «élargir la géographie des cibles»; le journaliste lui a demandé ce qu’il entendait par cela, il lui a répondu: «Les Américains et ceux qui les suivent». Pour les Américains, il a expliqué que cela concernait tous les intérêts américains dans la région pas seulement en Irak et que les missiles de son mouvement peuvent atteindre toutes les bases américaines dans la région tant que «la machine américano-sioniste continue de perpétrer ses crimes contre les Palestiniens». Quant «à ceux qui les suivent», il a dit que cela concerne «les Arabes du Golfe qui soutiennent l’entité et nous parlons précisément des Émirats arabes unis qui ont un rôle pervers dans cette étape». Husseïni a d’ailleurs menacé explicitement ce pays en estimant que si le pont terrestre entre les Émirats et Israël (qui va du port de Dubaï jusqu’en Israël en traversant l’Arabie saoudite et la Jordanie) et qui doit remplacer le ravitaillement maritime d’Israël perturbé par les Houthis entre en fonction, les Émirats seront ciblés.
Le porte-parole militaire du Hezbollah irakien affirme que les attaques contre les sites militaires et les personnalités ne les intimident pas et ne les arrêteront pas. Il faut rappeler que le fondateur du mouvement Abou Mahdi Al-Mouhandes a été tué avec Qassem Soleimani, le chef des Brigades Al-Qods (unité spéciale des Gardiens de la révolution iraniens) par un drone américain sur ordre de Donald Trump le 4 janvier 2020. Husseïni déclare qu’ils ne s’arrêteront pas tant que l’agression contre les Palestiniens et le blocus de Gaza se poursuivent et tant que l’idée du déplacement forcé des Palestiniens n’est pas abandonnée.
Les maillons d’une chaîne
Il continue à dérouler son raisonnement et là ce qui est intéressant c’est l’interconnexion entre les mouvements de cet axe et leur grande solidarité, il déclare: «L’ennemi américano-sioniste ne peut plus s’en prendre à un État ou à un groupe d’une manière isolée. Il ne peut plus s’en prendre à la Palestine toute seule ou à l’Irak tout seul. Maintenant, cet axe est ancré sur le terrain».
Autrement dit, ce sont des maillons d’une même chaîne et celui qui s’attaque à l’un des maillons doit désormais faire face à toute la chaîne. D’ailleurs, cette donne a été saisie par les dirigeants de l’entité usurpatrice car Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense a déclaré cette semaine que: «Nous ne faisons pas face uniquement au Hamas mais à tout un Axe».
Concernant les menaces israéliennes de déclarer la guerre au Hezbollah libanais, Husseïni indique que, dans ce cas, «nous serons présent par nos combattants et par nos armes. Nous serons aux côtés de nos frères de la Résistance libanaise». Quant aux menaces américaines d’attaquer les Houthis au Yémen, il y répond par des menaces: «Les Américains verront des jours qu’ils n’oublieront jamais, ça sera cauchemardesque pour eux.»
L’interview contient également des révélations intéressantes, Jaafar Husseïni déclare: «Il y a une résistance à Bahreïn et au Hijaz (Arabie saoudite, Ndlr), leur présence réelle et même si elle n’est pas claire pour le moment, elle le sera dans l’avenir et au fil des prochaines confrontations.» Il poursuit avec une déclaration qui doit retenir l’attention: «L’axe de la Résistance parviendra dans une décennie dans l’Est de l’Asie et dans le Caucase. Ce ne sont pas des vœux. Les graines ont déjà été semées».
Une géopolitique en mouvement
Ces déclarations montrent que cet axe opère d’une manière stratégique, ambitieuse et sur étape. Par conséquent, le défi de la décennie est de s’élargir de l’Asie de l’Ouest à l’Asie de l’Est et au Caucase.
Husseïni estime que l’objectif actuel est la fin de l’agression contre Gaza, c’est la priorité par excellence. Après, «nous œuvrerons à la redistribution des cartes en l’occurrence à faire sortir les forces américaines d’Irak et des pays de la région. Cette présence est un mal et s’en débarrasser c’est retrouver la stabilité dans le Moyen-Orient». Il affirme que les Américains ne quitteront pas l’Irak par la concertation et la négociation mais ils seront acculés de partir comme c’était le cas en Afghanistan.
Il est indéniable que le Moyen-Orient et la géopolitique mondiale en général sont en pleine gestation et que cette décennie aboutira à de nouveaux équilibres qui résulteront de l’issue de toutes ces batailles en cours. La seule certitude est que le dessin géopolitique annoncé avec arrogance par Benjamin Netanyahu qui a déclaré le 7 octobre : «Nous redessineront un nouveau Moyen-Orient» ne verra pas le jour. Il n’a atteint aucun de ses objectifs à Gaza, il ne pourra pas remporter une guerre face au Hezbollah libanais comme l’ont révélé les analyses américaines et israéliennes, Israël vit sa pire crise depuis sa création et les États-Unis par leur soutien aveugle à cette entité se retrouvent dans une impasse géopolitique.
L’avenir est encore incertain mais il ne pourra pas être façonné comme le désirent les Américains et les Israéliens car ni le Hamas ne pourra être démantelé et liquidé comme l’ont montré plus de trois mois de guerre à Gaza ni l’axe pro-iranien ne pourra être éradiqué et au contraire, il gagne en puissance et en capacité de nuisance pour Israël et pour les intérêts américains.
Vidéo de l’interview de Jaafar Husseïni:
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