Comment un juif originaire d’un petit village reculé de l’est de la Tchécoslovaquie est-il devenu un magnat international de la presse et une personnalité nationale en Israël ? (Illustration: Robert Maxwell et sa fille Ghislaine).
Par Dr Mounir Hanablia
Un destin extraordinaire que celui de Robert Maxwell qui à l’âge de 15 ans après l’annexion de son pays par les Nazis fuit en Hongrie où il est arrêté pour espionnage. Il réussit à s’enfuir on ne sait trop comment, se rend à Beyrouth, un séjour dont on sait peu de choses. A-t-il rejoint l’organisation sioniste en Palestine? Il débarque à Sète en France. Deux années après, en 1939, il s’enfuit en Angleterre et débarque à Liverpool. Il s’engage dans l’armée mais il est versé aux services des travaux d’entretien des routes, un travail pénible et peu gratifiant, et c’est sa rencontre avec une veuve qui lui ouvre véritablement les portes de l’armée. Il est affecté à l’état major puis dans le renseignement quand on s’aperçoit de sa capacité à parler plusieurs langues (tchèque, hongrois, roumain, allemand, français, anglais) et à endosser des personnalités et à changer d’identité (de Hoch à Maxwell en passant par Du Maurier).
En fin de compte, le jeune juif tchèque est affecté en tant qu’officier aux unités combattantes lors du débarquement en Normandie en 1944. Il est décoré pour héroïsme par le général Montgomery après avoir sauvé des soldats anglais assiégés dans une maison par les Nazis au sud-est de la Hollande. Il fait alors partie des unités qui envahissent l’Allemagne et se signale par des exécutions sommaires de soldats allemands et des représailles contre les civils.
Au moment de l’occupation de Berlin, le jeune soldat est nommé en tant que responsable de l’information, et aucune publication ne peut se faire sans son accord. Cela le met en contact avec le patron du grand groupe Singer Verlag, responsable en particulier des publications scientifiques les plus prestigieuses d’Allemagne, qu’il fait transférer en Angleterre par wagons entier.
Ce sera là le point de départ de sa carrière dans l’imprimerie, la production des livres et les revues. Mais il semble que sa collaboration avec les services de renseignement anglais continue avec la guerre froide en particulier pour toutes les questions concernant son pays d’origine, la Tchécoslovaquie, où son identité véritable finit par être mise à jour. Au cours d’un séjour il y découvre que toute sa famille est morte dans les camps nazis à l’exception de l’une de ses sœurs qu’il aide à émigrer en Angleterre.
Une excentricité légendaire
En fin de compte, sa carrière dans l’imprimerie et la production de livres et de revues prend son essor; il devient le propriétaire de l’un des principaux groupes d’information au monde et se retrouve à quatre reprises en concurrence directe avec l’autre magnat de l’information, l’Australien Rupert Murdoch, pour l’achat de journaux anglais réputés censés lui faire acquérir une influence considérable sur le monde politique. Il est coiffé sur le fil à chaque offre d’achat et son excentricité n’y est pas étrangère. Il acquiert en effet une réputation d’homme d’affaires imbu de sa personne et dénué de scrupules. Mais c’est la cinquième qui est la bonne, il achète le groupe Mirror ainsi que son fond de retraite qui lui est adjoint.
Devenu une personnalité publique de premier plan, il côtoie les grands du monde, tels que Margaret Thatcher, Ronald Reagan, Georges Bush Sr, Mikhail Gorbachev. Il se découvre brusquement la fibre juive et investit des sommes considérables en Israël. Mais le vent tourne, les affaires et les titres périclitent. Maxwell est obligé de colmater les brèches en puisant d’une manière tout à fait illégale dans le fond de pension du Mirror afin d’obtenir des crédits des grandes banques internationales.
L’achat du Daily News de New York immédiatement à la fin de la guerre du Golfe n’arrange pas les choses et début novembre 1991, les banques et les créanciers réclament leur remboursement qui se chiffre à la somme colossale de 700 millions de livres sterling. Maxwell qui s’était réfugié sur son bateau le Lady Ghislaine parti en croisière disparaît alors au large des îles Canaries le 5 novembre au matin. Son corps est retrouvé en mer et repêché dans l’après-midi. L’autopsie réalisée par un médecin espagnol qui avait conclu à un infarctus du myocarde est refaite en Israël avant l’enterrement par un spécialiste anglais réputé. Elle n’est pas concluante mais la découverte d’un hématome le long des muscles spinaux permet d’envisager la possibilité d’un traumatisme dorsal, peut-être causé par la tentative de s’accrocher au bateau lors de la chute en mer.
La mort de Maxwell a évidemment fait couler beaucoup d’encre. L’hypothèse du suicide a été fermement récusée par son épouse. Celle de l’assassinat sur un bateau en pleine mer n’aurait pu être accomplie que par l’équipage, et cela paraît peu probable étant donné qu’il s’agissait d’une personnalité connue et que toute possibilité de fuite était impossible.
Il reste la thèse de l’accident qui est vraisemblable: Maxwell qui était obèse et pesait près de 140 kilogrammes était un cardiaque et un coronarien avéré, et il peut très bien être tombé à l’eau victime d’un malaise.
Des zones d’ombres
Il reste que beaucoup de zones d’ombres demeurent, en particulier les rapports du magnat de la presse avec les services de renseignement anglais. Son épouse se souvient l’avoir vu traduire des pages en allemand de travaux auxquels les russes s’intéressaient. Quant à ses autres liens, on peut s’étonner que le gouvernement israélien ait organisé des funérailles publiques aussi imposantes sur le Mont Sion à un homme d’affaires en perdition dont la réputation allait s’écrouler aussitôt après sa mort. Quels services leur avait-il donc rendu? On peut d’autant plus se le poser que Maxwell avait déjà fait face à la ruine une première fois mais avait pu rebondir.
Quoiqu’il en soit, après sa mort, ses fils furent mis en prison, pour être finalement acquittés par un jury à l’unanimité après 11 nuits de délibération. Ses biens furent entièrement liquidés au bénéfice des créanciers. Sa fille Ghislaine se signala il y a quelques années par son implication dans un scandale pédophile avec son compagnon Jeffrey Epstein et un train de personnages de la jet-set dont l’une des figures les plus marquantes est le Prince Andrew d’Angleterre.
Epstein fut retrouvé mort dans une prison new-yorkaise et Ghislaine a été reconnue coupable et condamnée à une lourde peine d’emprisonnement. Mais on s’est aperçu de l’existence de caméras enregistrant les ébats des invités au domicile du couple. A quoi (et à qui) servaient ces vidéos ? Ghislaine fut-elle aussi un agent israélien? Toujours est-il que le gouvernement israélien, dans la poursuite de sa politique criminelle, bénéficie d’un soutien sans faille de la part de la classe politique américaine, dont le chantage constitue un mobile plausible.
* Médecin de libre pratique.
‘‘Fall: The Mystery of Robert Maxwell’’, de John Preston, éd. Harper, 9 février 2021, 350 pages.
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