La Tunisie n’a pas officiellement rompu les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un prêt de 1,9 milliard de dollars. Ces négociations n’en sont pas moins officiellement suspendues depuis octobre 2022. Quand vont-elles reprendre? Mystère et boule de gomme !, alors que les besoins de financement extérieur du pays, en 2014, s’élèvent à 28,7 milliards de dinars… Et que la plupart des bailleurs de fonds exigent habituellement un accord préalable avec le FMI avant de délier les cordons de la bourse.
Par Imed Bahri
A Tunis, et malgré les critiques adressées au FMI par le président Kaïs Saïed, le ministre des Affaires étrangères Nabil Ammar et d’autres responsables du gouvernement, on continue d’affirmer que les discussions se poursuivent entre les deux parties. Pour preuve : la rencontre, le 16 janvier dernier, entre le Premier ministre Ahmed Hachani et la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva en marge du Forum économique de Davos.
Mais au-delà des déclarations diplomatiques, les deux parties semblent faire du surplace, chacune restant sur ses positions : le FMI attend de voir la Tunisie s’engager fermement dans les réformes pour lesquelles elle s’était engagée, alors que le gouvernement tunisien ne semble pas prêt à s’engager dans des politiques économiques risquant de provoquer un mécontentement social, notamment en ce qui concerne la réduction des dépenses de subvention de certains produits de première nécessité.
La balle est dans le camp de la Tunisie
Lors d’un briefing, hier, jeudi 22 février 2024, Julie Kosack, directrice de la communication au FMI, a rappelé qu’en ce qui concerne la Tunisie, «la mission pour les consultations au titre de l’article IV de 2023 était initialement prévue du 5 au 19 décembre 2023 et a été reportée par les autorités», laissant ainsi entendre que le blocage, car blocage il y a, ne vient pas du FMI, mais du gouvernement tunisien. C’est ce qu’elle a tenu à souligner en ajoutant : «Si je remonte à 2022, c’est l’époque où la Tunisie a développé un programme de réforme économique national, qui a servi de base à un accord au niveau des services sur un FEP de quatre ans. Peu de temps après, les autorités ont indiqué qu’elles réexaminaient leur programme de réforme et qu’elles proposeraient d’autres mesures de réforme. Et ces mesures n’ont pas encore été partagées avec les services du FMI.»
Puis Mme Cosack nous a servi les propos soporifiques habituels afin de laisser la porte ouverte à une hypothétique reprise des négociations. «Le FMI reste un partenaire solide de la Tunisie et continuera à soutenir les autorités dans leurs efforts de réforme. Si les autorités expriment leur intérêt pour le programme, nous sommes prêts à dialoguer avec elles.»
16 milliards de dinars d’emprunts extérieurs restent à trouver
Il reste cependant à se demander si le gouvernement tunisien est en train de réexaminer son programme initial et d’élaborer de nouvelles mesures de réforme conformes à l’approche sociale voire socialisante du président Saïed, et si de telles mesures ont des chances de convaincre les experts du bailleur de fonds international. Et comme aucun membre du gouvernement ne s’est exprimé sur le sujet, on reste d’autant plus perplexe que les besoins de financement de la Tunisie s’élèvent à 15,6 milliards de dinars, rien que pour le premier trimestre 2024, qui seront alloués notamment au remboursement de la dette intérieure et extérieure (7 milliards de dinars), au paiement des salaires (2,7 milliards de dinars), à l’investissement (1 milliard de dinars) ainsi qu’au financement des dépenses des entreprises publiques (1,8 milliard de dinars) et à la subvention des hydrocarbures (1 milliard de dinars), comme l’a rappelé la ministre des Finances, Sihem Nemsia, à l’Assemblée, mardi 6 février, lors de l’examen du projet de loi portant autorisation exceptionnelle à la Banque centrale de Tunisie (BCT) d’octroyer des facilités au profit de la Trésorerie Générale pour une valeur de 7 milliards de dinars.
Il convient de préciser, également, que le déficit budgétaire global du pays pour 2024 est estimé à 28,7 milliards de dinars, dont 16 milliards d’emprunts extérieurs sur lesquels 10 milliards n’ont pas été trouvés.
Dans ce contexte, une question se pose : la Tunisie est-elle en mesure de se passer du prêt du FMI pour boucler ses budgets de 2023 et de 2024? A-t-elle des promesses de prêts émanant d’autres bailleurs de fonds qui vont lui permettre de satisfaire ses besoins de financement pour les mois à venir? Ou va-t-elle continuer à lever de fonds auprès des banques locales, dont les capacités de financement ne sont pas illimitées, au risque de provoquer une crise de liquidité dans le pays et de relancer l’inflation?
A ces questions, on n’est pas sûr que les membres du gouvernement aient, au jour d’aujourd’hui, une réponse, tant ils semblent naviguer à vue, le nez dans le guidon. Et cela n’est pas rassurant, sachant la gravité de la crise économique et financière sévissant dans le pays.
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