‘‘Le pavillon Claude Monet’’, premier roman de Foued Laroussi (AC éditions Tunis 2023, 319 pages), est une autobiographie ou une autofiction où l’auteur puise sa matière romanesque dans sa propre vie, vécue une seconde fois à travers les souvenirs, les émotions et les regrets qu’on en garde.
Par Latif Belhedi
La référence à la peinture impressionniste dès le titre du roman n’est pas aléatoire ou anecdotique, puisque l’écrivain, linguiste de son état, spécialiste de sociolinguistique, opère avec les mots comme le peintre avec les formes et les couleurs : il les déploie avec une rigueur d’orfèvre qui n’interdit pas quelques envolées lyriques ou des flous artistiques, le but étant d’enchanter une réalité qui n’est pas toujours romanesque mais qui n’est pas exempte de beauté, non plus, quand on y regarde de près ou qu’on l’examine avec le recul du temps.
C’est le cas de ce roman où l’auteur, à l’âge de la soixantaine, se penche sur ses années de jeunesse, dans un village proche de Sfax, Laouabed, où vivaient ses parents, puis sur ses premières années à l’université de Rouen en France, entre 1981, et l’arrivée des socialistes au pouvoir en France, et 1987, qui s’achèvera, en Tunisie, avec la destitution de Bourguiba par Ben Ali.
Un roman d’initiation
C’est ce qu’on appelle un roman d’initiation ou d’apprentissage où l’auteur, tout en déroulant le fil de sa vie, ses rencontres, ses découvertes, ses joies et ses déceptions, réfléchit sur qu’il lui a été donné à vivre et à partager dans cet entre deux rives où la mer, avec ses vagues, ses humeurs et son tumulte n’est jamais loin. Cette mer médiane, qui fut longtemps une passerelle entre les peuples et les cultures, et qui est devenue, aujourd’hui, un mur difficile à franchir par ceux qui, comme Foued Laroussi ont rêvé, un jour, de vivre leur vie ailleurs.
Durant ces années de découverte et d’apprentissage, le jeune homme, curieux de tout et assoiffé de connaissance, est en mode éponge : il regarde, écoute, observe, interroge et apprécie ce qui lui est donné à vivre, à sentir et à apprécier : l’écriture, la peinture, la musique, les langues, mais aussi les amitiés, masculines et féminines, les dépits amoureux, les frustrations, sans jamais renoncer à cette curiosité qui lui permet d’aller à la rencontre des êtres et des choses avec la même soif de l’autre et le même désir de découverte, le bonheur étant toujours au bout de la rue.
«Nous étions jeunes, insouciants, nous vivions au jour le jour. Fauchés, tous ou presque, nous étions heureux malgré tout. La vie était si simple malgré la misère, la nécessité et la privation», dura le narrateur. Il ajoutera plus loin : «Pérégrinations, errance, conquête, voyage… tout est une histoire d’arpentage. Mon itinéraire ne déroge pas à la règle. Au fil des ans, mon parcours s’est enrichi grâce à mes égarements, tâtonnements, hésitations, regrets, déceptions».
Un bouillon de culture
Tout en baignant dans le bouillon de culture européen, le narrateur-auteur garde un lien très fort avec le pays d’où il vient, la Tunisie, la ville de son enfance et de son adolescence, Sfax, la culture arabe où il a puisé les éléments de son identité et les auteurs qui ont marqué ses jeunes années, Taha Hussein, Bayram Al-Tounsi, Farid Ghazi, Souheil Idriss, Taoufiq Al-Hakim ou encore Mahmoud El-Messaadi. Et dans cet entre-deux, avec un pied dans chaque continent, il découvre les concordances et souligne les différences, souvent avec humour : «Je remarquai une grande différence entre notre façon de prendre nos repas en Tunisie et celle des Français. Ces derniers prennent le temps de manger, ils savourent et dégustent ce qu’ils mangent. Chez moi, à la campagne, nous ne mangeons pas. Nous avalons les aliments. Le repas ne dure pas plus d’une demi-heure», écrit-il. Mais il gardera toujours présent dans son esprit cet injonction de son père, le jour de son départ en France : «N’oublie pas d’où tu viens !».
Le roman se termine au moment où, suite à une déception amoureuse, le narrateur fait la connaissance d’une jeune femme dont il apprécie la compagnie: nouvelle rencontre, nouveaux sentiments, nouvelle aventure. Il recommence à écrire des poèmes, des proses lyriques, des «odes à l’amour et à la joie de revivre». Un nouvel horizon s’ouvre devant lui, annonçant le second tome de ce qui ressemble beaucoup à des mémoires. On a l’eau à la bouche…
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