Appelée gnawa au Maroc, diwan en Algérie, makari en Libye et stambali en Tunisie, cette pratique ancestrale qui trouve ses origines en Afrique subsaharienne et qui s’est répandue au Maghreb, constitue une tradition musicale et un rite spirituel que l’Association de la culture Stambali de Tunisie œuvre à faire préserver tout autant que la dernière maison dédiée au Stambali, la zaouia (mausolée) Sidi Ali Lasmar. (Illustration : Troupe Sidi Ali Lasmar).
Située à Bab Jedid, à la médina de Tunis, ce marabout, abrite depuis 2016 l’association qui garde jalousement la mémoire d’un patrimoine musical ancestral.
Bien qu’elle fasse partie de l’un des monuments historiques protégés en vertu d’un arrêté en date du 22 janvier 2024, portant protection des monuments historiques et archéologiques, la zaouia risque d’être vendue et de disparaitre.
Dans la rue El-Fersi, c’est une impasse qui prend le nom de ce marabout, l’impasse Sidi Ali Lasmar. C’est là où est nichée la dernière demeure dédiée au Stambali, et dont Riadh Zaouch, est le maître des lieux depuis près de 27 ans. Dans ce lieu chargé d’histoire et de mémoire, l’agence Tap a rencontré le fondateur et président de l’association et de la troupe Sidi Ali Lasmar qui a parlé des programmes de l’association, de la tradition musicale qu’est le stambali et du plus vieux sanctuaire gardien d’un héritage spirituel et culturel dont l’avenir est incertain.
«Braouna» au mois du patrimoine
Deux prochains événements sont déjà préparés et en attente de réponses pour que les spectacles autour de cette danse soient bien au rendez-vous. La première manifestation est prévue à l’occasion du mois du patrimoine 2024 et la deuxième pour la célébration du Mouled (fête de la naissance du prophète Mohamed).
Outre les festivités de coutume prévues pour la Nuit du Destin (nuit sacrée à la fin du mois de ramadan) au sein de la zaouia, c’est avec un spectacle intitulé «Braouna» en référence à une tribu connue par la pratique de l’art de Stambali que l’association compte participer à l’occasion du mois du patrimoine. Des troupes de Stambali de Sfax, Nefta, Tozeur outre la troupe Sidi Ali Lasmar de Tunis sont attendues pour les dates du 26 et 27 avril 2024 à Sidi Bou Said avec deux invitées du Maghreb : la troupe Gnawa du Maroc et la troupe Fan Eddiwan de l’Algérie.
Le deuxième grand rendez-vous est la fameuse Mouldia programmée dans une huitième édition.
Pour ce rituel festif et spirituel ancré dans les croyances locales liées aux cultes des saints, le programme démarre selon la tradition avec «El-Kharja» (la sortie mystique) à partir du mausolée Sidi Mahrez jusqu’au mausolée Sidi Ben Arous avec la participation de huit troupes de Kairouan, Nefta, Tozeur, Sfax, Gabes, Sousse et Om Laarayes (Gafsa) avec en tout 94 artistes stambali et 30 «sanjaq» (étendards) avec plus de 1000 spectateurs attendus.
Délaissée depuis 1942, la Mouldia est une vieille tradition de stambali que l’association œuvre à faire revivre depuis 2016 à travers ces journées qui se tiennent surtout à Tunis et Kairouan.
Un héritage à transmettre
A Tunis, la troupe Sidi Ali Lasmar œuvre en vue de faire perdurer cette tradition alliant le côté spirituel, les chants populaires, la musique et la danse, en la faisant découvrir en tant qu’expression artistique qui s’articule autour d’un «orchestre» dont les deux maîtres sont le «maalem» et l’«arifa».
Le maalem ou maître est le chef d’orchestre, qui dirige l’enchaînement des chants et qui joue le guembri (instrument à trois cordes), considéré l’instrument roi, celui qui touche les profondeurs de l’âme jusqu’à la transe d’où la spécificité de cet art festif autant que méditatif.
L’arifa chante et danse jusqu’à la transe avant d’être rejointe par les adeptes pour former une chorégraphie qui relève du culte fétichiste où le rythme allant crescendo est au cœur de cet art ancestral lié dans son aspect spirituel au soufisme et d’un répertoire qui fait partie de la mémoire collective et d’un patrimoine immatériel qui mérite d’être préservé et valorisé, avance Riadh Zaouch.
En vue de faire découvrir cette musique traditionnelle, la troupe s’est produite dans plusieurs manifestations nationales notamment dans le cadre de la 53e édition du Festival international de Carthage et à maintes reprises au Festival de la Médina de Tunis. En dehors des frontières, elle a affiché sa présence entre autres au festival Equations Nomades à Paris (2006), au Festival de musiques du monde à Grasse (2013), au Festival de musique traditionnelle « Les orientales » de Saint Florent le Vieil en France (2010) et à bien d’autres événements notamment à Bruxelles (Belgique) et au Maroc.
Outre une large médiatisation, cette pratique a fait objet d’une exposition notamment du photographe français Augustin Le Gall en 2017 intitulée «La dernière danse au cœur du rituel stambali».
En 2022, un documentaire «Stambali, dernière danse des esprits» réalisé par Augustin le Gall et Théophile Pillault et diffusé en trois parties (pèlerinage, héritage et transmission) a mis en avant l’influence du stambali sur toute une génération de musiciens, adeptes de l’électronique, fascinés par les boucles hypnotiques de ses musiques de transe.
Les traces de toute une tradition et de chaque expérience de vie sont dans cette chambre témoin de la belle époque, regrette-t-il. Autour d’une grande collection de photographies sur les maîtres anciens, de documents, de visuels, d’instruments comme le «gougai» (violon monocorde disparu), c’est un pan d’un long voyage qui livre les trésors de ce vieux legs, explique Riadh Zaouch en exprimant sa crainte que ce dernier écrin mystique qui préserve l’histoire du stambali à Tunis, ne soit cédé et qu’avec sa cession ne soit enterré ce patrimoine immatériel et légué aux oubliettes toute une mémoire de moments et de tranches de vie, transmise de génération en génération.
D’après Tap.
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