La succession de l’ayatollah Khamenei, véritable enjeu de la République islamique d’Iran

Ce n’est pas la succession du défunt président Ebrahim Raïssi, décédé dimanche 19 mai 2024 dans un crash d’hélicoptère, qui soulève le plus de questions sur l’avenir de la République islamique d’Iran, immense pays de 90 millions d’habitants et véritable puissance régionale dans le Moyen-Orient, car le changement de président n’y change pas les tendances stratégiques et les grandes politiques, mais la succession de l’homme fort du pays, le Guide suprême Ali Khamenei âgé de 85 ans et dont Raïssi était considéré comme l’héritier putatif qui soulève le plus d’interrogations.

Imed Bahri

Aujourd’hui avec le décès prématuré de Raïssi, les regards se tournent vers un homme dont la discrétion n’a d’égale que l’influence et la puissance, en l’occurrence Mojtaba Khamenei, le fils du Guide suprême.

Le Wall Street Journal a publié une enquête préparée par Sune Engel Rasmussen et Benoît Faucon intitulée «Le très secret fils du guide suprême iranien exerce tranquillement le pouvoir après la mort du président Raïssi» dans lequel ils affirment que Mojtaba, fils de l’ayatollah Ali Khamenei, jouera un rôle important dans la succession de son père et dans le contexte de la mort subite du président Raïssi.

Une influence majeure loin des projecteurs 

Pour de nombreux Iraniens, Mojtaba Khamenei reste un mystère car il n’occupe pas de poste officiel et il est très rare qu’il apparaisse lors d’événements publics ou qu’il prononce des discours mais ses relations étroites avec l’establishment militaire et sécuritaire l’ont rendu puissant dans l’ombre en particulier à l’époque de Raïssi, qui était obéissant et un président sans base populaire qui lui est propre. Raïssi était considéré comme un successeur potentiel du guide suprême âgé de 85 ans et souffrant de problèmes de santé.

Toutefois, en tant que président, Raïssi a servi d’intermédiaire pour des individus et des réseaux puissants qui ont joué un rôle important dans les coulisses. Cependant, sa mort a accru les spéculations sur le successeur possible du guide et sur la question de savoir si le prochain président serait acceptable aux yeux des parrains du pouvoir dans le pays notamment ceux qui entourent le fils d’Ali Khamenei et les Gardiens de la révolution.

Beaucoup ont spéculé ces dernières années sur la question de savoir si Mojtaba Khamenei était un candidat majeur pour son père mais les observateurs des affaires iraniennes et les analystes politiques ont déclaré qu’il était peu probable qu’il succède à son père et ont plutôt souligné qu’il exercerait une influence loin des projecteurs.

«Mojtaba et son réseau règnent en maître depuis deux décennies», a déclaré Hamed Reza Azizi, chercheur iranien à l’Institut des affaires internationales et de sécurité en Allemagne, qui ajoute que «le plus grand défi pour Khamenei est certainement de trouver quelqu’un avec les mêmes qualités Ie Raïssi. Pour y parvenir, cela pourrait ouvrir la voie à Mojtaba pour maintenir et même étendre son autorité et maintenir son rôle dans l’ombre et loin du regard de l’opinion publique». Quoi qu’il en soit, Mojtaba, 54 ans, jouera un rôle important dans la refonte de la scène politique iranienne avant les élections présidentielles prévues en juin et dans la succession imminente de son père. Les manœuvres politiques détermineront également l’avenir de l’Iran, alors que le pays approfondit son implication dans les conflits régionaux tout en faisant face au mécontentement intérieur.

Un empire financier en sous-main

Le décès de Raïssi a amené les pro-Mojtaba à la présidence quoique pour une courte période (période d’intérim) à l’instar du premier vice-président de Raïssi, Mohammad Mokhber qui assume actuellement la présidence et dont la tâche dans les semaines à venir sera de préparer les élections. Mokhber est la personne chargée par Khamenei de gérer le Fonds Setad qui gère un milliard de dollars d’actifs dans l’immobilier. Mojtaba joue un rôle dans cet empire financier.

À ces informations du Wall Sreet Journal, il faudrait rajouter que le nouveau ministre des Affaires étrangères Ali Bagheri Kani qui a succédé à feu Amir Husseïn Abdelahyan (décédé avec le président Raïssi dans le crash de l’hélicoptère) est un pur produit de l’establishment de la théocratie iranienne. Il est le fils de l’éminent religieux Mohammad Bagher Bagheri Kani, ancien membre de l’Assemblée des experts et qui était également membre du Parlement iranien. Ali Kani est également neveu de Mohammad Reza Mahdavi Kani, ancien Premier ministre iranien qui a dirigé le Conseil des experts et a été l’une des figures révolutionnaires conservatrices les plus éminentes. Quant à son frère Misbah Al-Huda Bagheri Kani, il est le gendre du guide suprême Ali Khamenei dont il a épousé la fille Hoda (la sœur de Mojtaba) et est considéré comme l’une des personnalités de confiance du Guide suprême. 

Le WSJ s’est intéressé au parcours de Mojtaba Khamenei. Il est né en 1969 dans la ville de Mashhad lorsque son père était une figure importante du mouvement révolutionnaire contre le chah d’Iran. La police secrète du chah avait arrêté Ali Khamenei à plusieurs reprises. Un jour, Mojtaba a assisté à une scène où les policiers battaient son père.

Après la Révolution islamique de 1979, Khamenei et sa famille ont déménagé à Téhéran où Mojtaba a étudié dans un lycée pour les enfants de l’establishment révolutionnaire à l’époque où son père gravissait les échelons du gouvernement et devenait président en 1981. Mojtaba, comme le reste de sa génération, a participé à la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988. Au sein de son bataillon, il a noué des relations avec des hommes qui sont devenus des personnalités importantes des services de sécurité notamment Hussein Taeb qui a été chef du renseignement au sein des Gardiens de la Révolution et Hussein Najat qui est devenu responsable de l’unité des Gardiens de la Révolution chargée de poursuivre les manifestants.

Mojtaba est devenu célèbre dans les années 1990 et au milieu des années 2000 lorsque les réformistes l’ont accusé d’avoir été l’artisan de l’élection du président radical Mahmoud Ahmadinejad en 2005 et 2009. Il a également exercé une influence en 2009 en soutenant Taeb, le chef de l’unité Basij qui a réprimé ce qui était appelé à l’époque la révolution verte protestant contre les résultats des élections et qui avait fait vaciller le régime. 

Un avenir suspendu

Les activités de Mojtaba ont attiré l’attention étrangère. En 2019, les États-Unis lui ont imposé des sanctions pour son travail à la fois proche et au nom de son père au sein des Gardiens de la révolution et du Basij et pour «son soutien aux ambitions de son père qui ont déstabilisé la région et à ses objectifs répressifs nationaux».

En 2022, Mojtaba est devenu la cible de la colère des manifestants qui ont protesté contre le meurtre de la jeune femme Mahsa Amini lors de son arrestation par la police religieuse.

Mir Hossein Mousavi, le candidat à la présidentielle assigné à résidence, a demandé l’ayatollah Khamenei de dissiper les rumeurs selon lesquelles son fils lui succéderait. L’ascension du fils Khamenei a alimenté les spéculations selon lesquelles il serait bien placé pour lui succéder. C’est un scénario qui a été exclu par Mehdi Khalaji, religieux de la ville de Qom et auteur d’un livre sur le Guide suprême qu’il a publié en 2023. Il a déclaré: «L’idée de l’ambition de Mojtaba d’être le prochain Guide suprême est un mythe total» et «sur la base de l’expérience historique, je ne pense pas que Khamenei choisira une personne même son fils comme successeur». Mojtaba ne possède pas bon nombre des capacités requises pour le poste de Guide suprême notamment les qualifications religieuses et l’expérience dans le travail exécutif.

Khamenei a rejeté, tout comme son prédécesseur le fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeini, l’idée de transmettre le pouvoir à l’un de ses enfants car cette idée n’est pas islamique mais monarchique. 

«Avec une longue expérience dans les allées du pouvoir, rien n’est comparable au réseau de Mojtaba Khamenei», estime cependant Saeed Golkar, expert des services de sécurité iraniens et maître de conférences à l’Université du Tennessee à Chattanooga. «Cependant, sa nomination pourrait affecter l’héritage de Khamenei en ramenant une nouvelle fois la monarchie», ajoute-t-il.

Les experts estiment que l’autorité de Mojtaba pourrait être affectée après le départ de son père et qu’il pourrait se trouver dans une meilleure position s’il restait dans l’ombre.

Avant la mort de Khomeini en 1989, son fils Ahmed était le directeur de son cabinet et plus puissant que Mojtaba Khamenei aujourd’hui. Il dirigeait le pays aux côtés d’Ali Khamenei puis d’Akbar Hashemi Rafsandjani avant de se mettre en désaccord avec eux après la mort de son père. Ahmed est décédé en 1995 à l’âge de 49 ans des suites d’une crise cardiaque.

La seule chose certaine c’est que l’avenir de la République islamique d’Iran comme celui de Mojtaba Khamenei sont suspendus à la succession d’Ali Khamenei.