Le poème du dimanche : ‘‘Nous n’habitons nulle part’’ d’André Laude

Né à Paris en 1936, André Laude est poète, essayiste, journaliste, photographe. Il a été chroniqueur littéraire au journal Le Monde.

Sa voix, à l’écriture rimbaldienne, surréaliste et libertaire, est une révolte permanente, dont la clarté part de l’ontologique qu’il jugeait essentiel à la poésie. Le vécu est le vrai ancrage de l’écriture, non l’élucubration mentale.

Malgré la violence apparente du texte, son œuvre est l’expression d’une fragilité de l’être, marquée par de profondes blessures. Il décède en 1995.

Son œuvre est rassemblée dans Œuvre poétique, avant-dire d’Abdellatif Laâbi, préface de Yann Orveillon, Ed. La Différence, 2008.

Tahar Bekri

nous n’habitons nulle part nous ne brisons de nos mains

rouges de ressentiment que des squelettes de vent

nous tournoyons dans un désert d’images diffusées par les

irascibles ingénieurs dans les organismes planétaires

planificateurs

infatigables du spectacle

nous ne sommes rien nous ne sommes

qu’absence

une brûlure qui ne cesse pas nous

n’embrassons nulle bouche

vraie nous parlons une langue de cendres nous touchons

une réalité d’opérette

nous n’avons jamais rendez-vous avec

nous-mêmes

nous nous tâtons encore et toujours

nous errons dans un magma de signes froids

nous traversons

notre propre peau de fantôme

le soleil du mensonge ne se couche jamais sur l’empire de

notre néant vécu atrocement au carrefour des nerfs

nous n’avons ni nom nous n’avons ni le temps

ni l’espace des yeux pour pleurer trente deux dents

totalement neuves pour mordre

mais mordre où mais mordre quoi

de fond en comble toutes les chaînes

autour desquelles s’articulent nos chairs nos pensées

d’aujourd’hui

jusqu’à ce qu’elles cassent dans un hourrah

de lumières de

naissances multiples

décrétons le refus global

les jardins des délices tremblent et éclairent au-delà

la révolte met le feu aux poudres

taillez enfants aux yeux d’air et d’eau

les belles allumettes

dans la forêt des légitimes soifs

taillez les belles allumettes pour que flambe le théâtre

d’ombres universel.

‘‘Testament de Ravachol’’, Ed. Plasma, 1974.

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