Comment relancer le tourisme tunisien, en déclin depuis 2010 ?

Dans cette «Lettre ouverte à Sofiene Tekaya, le nouveau ministre du Tourisme et de l’Artisanat», l’auteur, vieux routier de la profession, passe en revue les maux chroniques dont souffre cette industrie en Tunisie et propose des solutions.

Habib Glenza *  

Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la réussite dans votre nouvelle mission, là où beaucoup avant vous ont échoué.

Je n’ai pas de conseils à vous donner car vous êtes mieux placé que moi pour connaître les maux chroniques du tourisme tunisien. Mais en tant que citoyen tunisien je tiens à vous rappeler les recommandations du président Kaïs Saïed, lors de la cérémonie d’investiture des nouveaux membres du gouvernement, à propos  de la lutte contre la corruption et contre tous les responsables qui ont fermé leurs portes au nez du citoyen tunisien où qu’il soit. Il parlait de la corruption de certains lobbys qui ont gangrené l’économie tunisienne en général et le secteur touristique en particulier. 

Hôtels en difficulté et d’autres fermés

En seulement 5 ans, l’hôtellerie tunisienne a perdu plus de 60 000 lits, passant d’une capacité d’hébergement globale de 240 000 à 180 000 lits. C’est une perte considérable, sachant que notre tourisme a été créé grâce à l’effort de l’Etat qui a investi une fortune, au détriment de plusieurs secteurs névralgiques tels que l’agriculture et la pêche.

Monsieur le ministre, j’aimerais vous citer en exemple l’hôtel Nabeul-Plage qui a été construit en 1964 grâce aux efforts de la municipalité de Nabeul, propriétaire du terrain sur lequel a été construit l’établissement, et plusieurs centaines d’associés dont mon défunt père, associé-fondateur.

Malheureusement, l’hôtel en question a été géré, en dépit de la volonté de tous les associés, par des personnes louches qui ont profité des largesses de l’administration locale. Ces personnes, dont certaines étaient proches du pouvoir de l’ancien président Ben Ali, ont fini par ruiner ce joyau. Jusqu’à ce jour ni les associés et associés fondateurs ni leurs descendants n’ont touché un seul sou depuis 1964!

Au nom de toutes ces personnes, je vous demande d’ouvrir une enquête pour que justice soit faite. L’enquête doit également concerner tous les hôtels qui sont en situation difficile ou qui ont fermé définitivement leurs portes, pour déterminer les raisons qui ont conduit à cette perte nationale.

J’ai écrit à ce sujet à plusieurs responsables du ministère du Tourisme et de l’ONTT, malheureusement mes demandes sont restées lettre morte. J’ai également soulevé le cas de l’hôtel Nabeul Plage sur les pages du journal Kapitalis.com, mais je n’ai noté aucune réaction 

Une activité peu rentable   

Je suis dans le tourisme depuis les années 60. En 1992, j’ai créé le premier TO tuniso-polonais avec comme seule et unique destination la Tunisie. Je peux vous affirmer que notre tourisme allait beaucoup mieux à cette époque. Les meilleures performances ont été réalisées en 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010. Une étude rétrospective présentée lors du Forum Ibn Khaldoun pour le Développement, en 2020 et 2023, par des experts issus de l’ONTT, de la BCT et de l’Organisation mondiale du tourisme, a confirmé, chiffres à l’appui, la bonne santé de notre tourisme durant sa phase d’expansion couverte durant les années 1970-2010. Après ce fut le début d’un long déclin qui se poursuit encore aujourd’hui.

Malgré les efforts déployés en matière de promotion du produit touristique sur les marchés émetteurs, la position de la Tunisie dans le bassin méditerranéen n’a cessé de décliner depuis 2010, à tel point que la couverture du déficit commercial par les recettes nominales en devises est aujourd’hui de l’ordre de 19% alors que le montant en devises de l’exercice 2005 en couvrait 75%!

Ce qui s’est passé depuis 2010, c’est sans doute la révolution de 2011, les attentats du Bardo, de Sousse, de Tunis et de Djerba, ainsi que les mesures de confinement et de restriction des déplacements en 2020 et 2021 suite à la pandémie de la Covid-19. Il y a cependant des raisons encore plus profondes que les aléas de la conjoncture, et qui sont d’ordre structurel. 

All-inclusif et manque de rentabilité  

J’ai écrit sur les pages de ce même journal plusieurs articles concernant le diktat des TO étrangers sur les hôteliers et agences de voyages qu’ils poussent à davantage de concessions. Pire encore l’hébergement en all-inclusive a non seulement transformé nos hôtels en hôtels-dortoirs comme disait le président Kaïs Saïed, mais il a nettement augmenté les charges des hôteliers qui les répercutent négativement sur la qualité de service.

Grâce aux normes internationales de plus en plus sévères en matière d’hébergement, plusieurs pays touristiques optent sur une formation professionnelle qualitative et quantitative pour mieux répondre à ces normes. En Tunisie, la qualité de service laisse beaucoup à désirer en raison de l’absence de formation professionnelle qualitative et quantitative. Je rentre très souvent au pays, et à chaque fois je remarque que les services hôteliers sont en-deçà des normes en ce qui concerne le traitement du linge qui, faut-il le rappeler, représente l’image de marque de tout hôtel et en particulier d’un hôtel 4 et 5 étoiles ou se prétendant tel.