Expéditions punitives, kidnapping, meurtres, utilisation de la population civile comme boucliers humains, blocage des secours pour qu’ils ne sauvent pas la vie des victimes, destruction des maisons et même bombardement, ceci n’est pas uniquement le quotidien des Gazaouis mais également celui des habitants de Jénine dans le nord de la Cisjordanie et ce n’est pas un hasard si la ville est surnommée la «Petite Gaza». La soldatesque israélienne a transformé la vie de sa population en enfer et empêche le personnel des Nations Unies d’y accéder pour faire le constat de ce qui s’y passe et y effectuer une évaluation de la situation.
Imed Bahri
Le New York Times a révélé dans une enquête préparée par Raja Abdulrahim et Azmat Khan avec le photographe Sergey Ponomarev, que l’armée israélienne a utilisé les Palestiniens de Cisjordanie comme boucliers humains tout comme elle les a utilisés dans la guerre de Gaza.
Nasser Damaj se souvient que les soldats israéliens lui ont saisi les deux bras et l’ont conduit à travers les rues jusqu’à la structure d’une mosquée détruite. L’un des passages menait à une ancienne cave. Dammaj a déclaré avoir compris la raison lorsqu’ils lui ont ordonné de descendre: ils l’utilisaient comme bouclier humain. Il a déclaré: «Ils voulaient que j’explore ce qu’il y avait dans la cave pour se protéger.» Lorsqu’il a protesté, les trois soldats et leur commandant armés de fusils d’assaut l’ont forcé à entrer et à explorer ce que les Israéliens ont appelé plus tard une installation de combat souterraine.
Dammaj se souvient que les soldats lui ont attaché une caméra pour inspecter la cave et le soldat l’a averti: «Fais attention, ne la casse pas. Elle coûte cher.»
L’utilisation des Palestiniens comme boucliers humains
Le journal explique que ce à quoi Dammaj a été exposé s’est souvent produit à Gaza où l’armée israélienne a forcé illégalement les Palestiniens à effectuer des tâches dangereuses pour éviter de risquer la vie des soldats israéliens pendant la guerre. En Cisjordanie, les habitants affirment que l’armée israélienne adopte des tactiques similaires à celles qu’elle utilise à Gaza notamment des frappes aériennes et l’utilisation de Palestiniens comme boucliers humains.
L’incident impliquant Damaj dans la ville de Jénine, qui a fait l’objet d’une incursion de 10 jours fin août et comprenait des frappes aériennes, était relativement rare d’après ce qu’ont indiqué les experts avec seulement quelques cas confirmés. Mais lors des raids à Jénine et dans d’autres zones palestiniennes qui ont débuté en août, l’armée israélienne a signalé avoir mené environ 50 frappes aériennes en Cisjordanie.
Plus de 180 personnes ont été tuées dans ces frappes dans la région l’année dernière dont des dizaines d’enfants, selon les Nations Unies et l’organisation palestinienne de défense des droits humains Al-Haq.
L’armée israélienne a refusé de fournir un bilan des morts mais a affirmé que 98% des personnes tuées dans les frappes aériennes étaient «impliquées dans des activités terroristes».
Le journal affirme que les incursions et les raids ont causé de graves dégâts aux routes, aux réseaux électriques, aux canalisations d’eau et d’égouts.
Les travailleurs humanitaires locaux et internationaux et les Nations Unies affirment qu’Israël a perturbé leurs efforts de secours tandis que des vidéos vérifiées par le New York Times montrent des bulldozers israéliens bloquant le passage des véhicules d’urgence.
Au lieu de parler de raids, les habitants, les travailleurs humanitaires et certains experts ont comparé ce qui se passe en Cisjordanie à une guerre. «Nous appelons Jénine la Petite Gaza», a déclaré Salim Al-Saadi, membre du conseil local.
Alors qu’il traversait un quartier connu sous le nom de camp de Jénine qui était à l’origine un camp de réfugiés palestiniens, il a remarqué le bruit constant des drones de surveillance et des frappes aériennes israéliennes.
«C’est la Gaza pour la partie nord de la Cisjordanie», a déclaré Nadav Vaiman, directeur de Breaking the Silence, une organisation composée d’anciens soldats israéliens qui disent recueillir des témoignages de soldats ayant participé aux raids de Jénine et de Tulkarem. Les frappes de ces derniers mois ont été parmi les plus vastes et les plus meurtrières en Cisjordanie depuis deux décennies.
Lors de ses opérations en Cisjordanie, l’armée israélienne affirme avoir tué ou arrêté des dizaines de combattants, confisqué des explosifs et détruit des centres de commandement et de contrôle. Elle a aussi mené des frappes aériennes «dans des situations où les arrestations ne pouvaient pas être effectuées en raison d’un danger réel pour les soldats».
Le journal américain explique que les opérations de l’armée israélienne en Cisjordanie ont longtemps été gardées secrètes mais les experts affirment qu’Israël s’est largement abstenu de lancer des frappes aériennes sur la région depuis la fin de la deuxième Intifada il y a près de 20 ans. À l’occasion, Israël a utilisé des hélicoptères d’attaque dans certaines opérations mais les experts ont déclaré que cela ne s’était produit que dans quelques cas dont ils avaient connaissance au cours des deux décennies.
Le déploiement de drones armés semble extrêmement rare comme le montrent les rapports palestiniens du 11 décembre 2022 mais seul un petit nombre de cas ont été confirmés avant le 7 octobre 2023. Depuis, les forces israéliennes ont mené des dizaines de frappes dans les zones nord de la Cisjordanie largement concentrées dans les villes et villages de Jénine, Tulkaram, Naplouse et Tubas.
Les soldats israéliens font ce qu’ils veulent
Lors de ses visites à Jénine, Tubas et Tulkarem, le New York Times a entendu plusieurs récits de Palestiniens contraints d’accomplir des tâches qui comportent des risques potentiels pour les soldats israéliens. Les dégâts causés par les explosions ont été considérables laissant les familles aux prises avec la perte de leurs enfants les uns après les autres.
Le 26 août, l’armée israélienne a lancé une frappe aérienne sur ce qu’elle a appelé la «salle des opérations» du camp de réfugiés de Nour Shams à Tulkarem tuant cinq personnes dont Adnan Jaber, 15 ans, accusé par Israël de fabriquer des explosifs. Ayser Jaber, le père d’Adnan a déclaré: «Immédiatement, les médias israéliens ont annoncé qu’ils avaient tué un terroriste mais c’était un jeune enfant pas un terroriste.» Il a ajouté que son fils suivait une formation pour devenir barbier et qu’il ne lui restait que deux semaines avant de terminer mais il a été tué.
Le 28 août, un avion israélien a frappé ce que l’armée a qualifié d’«hommes armés» dans une ruelle du camp de réfugiés de Faraa. Les habitants ont raconté qu’une maison avait également été bombardée tuant deux frères, Mohammad Masoud Mohammad Naja, 17 ans, et Mourad Masoud Mohammad Naja, 13 ans, et blessant grièvement un troisième frère ainsi que le père des garçons.
En septembre, l’armée israélienne a déclaré que ses avions avaient frappé «des terroristes qui avaient lancé des explosifs et ouvert le feu sur les forces de sécurité et éliminé une personne munie d’un engin explosif».
Les habitants ont déclaré que les soldats israéliens avaient tiré sur Majed Fidaa Abu Zeina, 17 ans, tiré sur les ambulances qui tentaient de le secourir et finalement utilisé un bulldozer pour jeter son corps à l’extérieur du camp. Sa mère, Amal Abu Zeina, a déclaré: «Les soldats israéliens font ce qu’ils veulent.»
Les raids à Jénine et dans d’autres villes, sur une période de dix jours, ont entraîné la mort de 51 personnes selon le ministère palestinien de la Santé et sept enfants figuraient parmi les morts selon les Nations Unies.
Le matin du 28 août, lorsque les forces israéliennes ont lancé leurs raids sur Jénine, Tulkaram et Tubas, le ministre israélien des Affaires étrangères de l’époque Israel Katz a posté ceci sur les réseaux sociaux: «Nous devons faire face à la menace tout comme nous faisons face à l’infrastructure du terrorisme à Gaza». Les groupes de défense des droits humains et les travailleurs humanitaires mettent en garde contre ce qu’ils appellent des similitudes dangereuses. «Nous avons tous le sentiment que le modèle de Gaza, le modus operandi, est appliqué en Cisjordanie, et c’est très inquiétant», a déclaré Allegra Pacheco qui dirige un consortium d’organisations humanitaires soutenues par l’Occident en Cisjordanie.
Des tactiques de guerre meurtrières en Cisjordanie
Le porte-parole de l’Onu, Stéphane Dujarric, a déclaré en septembre que des responsables de l’Onu mettent en garde contre des tactiques de guerre meurtrières en Cisjordanie. Ils avaient tenté d’accéder à Jénine pour procéder à une évaluation mais que les autorités israéliennes leur ont refusé l’entrée dans ce territoire.
La mère de Damaj, Amal Damaj, 48 ans, a déclaré lors des raids: «J’avais très peur… Ce sont les raids les plus intenses que j’aie jamais vus et que j’ai jamais vécus.» Dès son entrée dans la grotte, Damaj a constaté que la seule lumière provenait de l’appareil photo qu’il avait entre les mains. Il a déclaré que le commandant regardait le flux en direct d’en haut sur un iPad et donnait des instructions où aller et quoi approcher. Par la suite, apparemment convaincus que l’endroit était sûr, les trois soldats et le commandant ont rejoint Damaj dans la grotte et l’ont interrogé exigeant de savoir où se trouvaient les membres des groupes armés palestiniens. Damaj a déclaré qu’il leur avait dit : «Je ne sais pas». Le commandant lui avait alors hurlé dessus: «Tu es un menteur, tu vis dans le quartier des terroristes. Dis la vérité sinon je tire sur tes jambes.» Après plus de deux heures, il a déclaré qu’ils l’avaient autorisé à partir. Le lendemain, l’armée israélienne est revenue et a fait sauter le tunnel.
En réponse à des questions sur deux cas liés à l’utilisation de boucliers humains à Jénine, dont celui de Dammaj, l’armée israélienne a déclaré: «Les incidents mentionnés semblent contredire les ordres de l’armée israélienne.» Elle a ajouté qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’informations pour confirmer ou infirmer si ces incidents s’étaient réellement produit mais elle a confirmé qu’une opération liée à une cave avait eu lieu précisant qu’«une installation de combat souterraine située sous une mosquée a été détruite».
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