Lors de l’événement à la Librairie Îles aux Mots de Marseille, où plusieurs personnes étaient présentes, j’ai eu l’occasion de découvrir l’ouvrage de Saber Mansouri * ‘‘Quand la France perd le Sud et les siens’’. Une histoire contemporaine par la marge. L’auteur m’a ouvert une fenêtre sur l’histoire contemporaine de la France, loin des discours traditionnels, en nous invitant à plonger dans les zones périphériques de cette histoire, là où vivent ceux souvent ignorés par le récit officiel. À travers cet ouvrage, l’écrivain tunisien questionne la république, ses fractures sociales et la place de ceux qui, en raison de leur origine ou de leur situation, ont été relégués à l’ombre du «centre». Un ouvrage audacieux où se croisent histoire, littérature et mémoire collective.
Djamal Guettala
Kapitalis : Vous explorez la notion de marge comme clé de lecture de l’histoire française contemporaine. Selon vous, pourquoi est-il essentiel de se tourner vers ces récits périphériques pour mieux comprendre la République et ses contradictions ?
Saber Mansouri : Je suis la trace laissée par Dostoïevski grâce à sa sentence sublime : l’histoire ne révèle sa propre essence qu’à ceux qu’elle a au préalable exclus d’elle-même. Et je pense qu’il est salutaire, inspirant aussi, de chercher la lumière dans l’ombre, de faire parler la marge pour donner à lire la vérité et une histoire à hauteur de la réalité et de l’humanité.
Les figures que j’analyse dans ce livre nous dévoilent véritablement l’essence de l’histoire française contemporaine : après avoir perdu le Sud, l’Afrique donc, la France perd ses «cités» et ses «jeunes de banlieue». En un mot, la république n’est plus un bien commun.
Votre livre traverse des moments historiques allant des tirailleurs africains à Karim Benzema. Comment avez-vous sélectionné ces figures et ces périodes, et que disent-elles de l’évolution des rapports entre la France et ses marges ?
Ce sont des figures humaines, des femmes et des hommes qui ont la grâce de donner à voir le tapis français qui se défait depuis les années 70 du XIXe siècle jusqu’à Karim Benzema, le dernier esthète balle aux pieds. Pourquoi se défait-il ? À cause d’une conception politique française qui n’embrasse pas les habitants de son propre empire : il est dangereux de faire citoyen d’une nation un individu dont le cœur est ailleurs, dit-on. Et cet individu, c’est le musulman, bien entendu, son cœur et son esprit seraient soumis à la voix d’Allah.
Dans cet essai, je parle aussi de Franck Ribéry, un autre joueur de foot à qui on reproche sa grammaire médiocre (oui, il y a des livres sur le parler Franck Ribéry, comme si un joueur de football était chargé de la rédaction du dictionnaire de l’Académie française). Une république où règne une fracture entre le bon et le mauvais Français n’en est pas une !
Vous parlez de ces «vies françaises et étrangères» dépossédées du pouvoir d’écrire leur propre histoire. Quel rôle la littérature et la recherche peuvent-elles jouer pour redonner une voix à ces populations ?
Contrairement à la politique, la littérature est capable de tout, notamment le pouvoir de sortir ces figures de l’ombre pour les remettre à l’endroit, au cœur de l’histoire d’une nation, d’un pays, d’un continent, ou du village. Et pour réaliser ce don, l’écrivain est appelé à sortir de lui-même, de se débarrasser de ses certitudes et de ses préjugés pour embrasser le monde qui l’entoure et écrire à hauteur d’humanité et du réel.
Pourquoi ce titre ‘‘Quand la France perd le Sud et les siens’’ ?
Parce qu’il est beau. Il décrit bien le tapis français défait : la perte des siens aujourd’hui après avoir perdu le Sud, son propre empire.
* Saber Mansouri est né en 1971 à Nefza, dans le nord-ouest de la Tunisie. Docteur en histoire grecque ancienne, il a enseigné pendant vingt ans l’Antiquité grecque à l’université. Auteur de plusieurs livres, il se distingue par ses réflexions profondes sur la relation entre les marges et le centre, l’histoire et les mémoires effacées. En 2024, il publie ‘‘Paris est une dette’’, un roman publié aux éditions Elyzad, ainsi que l’essai ‘‘Quand la France perd le Sud et les siens’’. Une histoire contemporaine par la marge aux éditions Passés composés, dans lequel il interroge la manière dont les populations marginalisées sont reléguées à l’histoire périphérique, tout en portant un regard critique sur la République française.
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