Le Centre pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), une association tunisienne basée en France, a publié le rapport ci-dessous sur la première audience du procès dit de complot contre la sureté de l’Etat dont les audiences ont été reportées au 11 avril prochain.
La première audience du procès visant plusieurs figures de l’opposition, des personnalités de la société civile et d’anciens hauts responsables de l’État, accusés dans l’affaire dite du «complot contre la sûreté de l’État», s’est tenue le 4 mars 2025 sous une tension palpable.
Depuis le début, cette affaire cristallise les critiques et soulève des soupçons quant à l’instrumentalisation de la justice à des fins de règlement de comptes politiques.
L’interdiction de publication imposée par les autorités judiciaires n’a fait qu’accentuer la suspicion d’une volonté de museler l’information et de contrôler le récit officiel. Avec l’ouverture du procès au public, le vernis de l’opacité commence à se fissurer, révélant une gestion judiciaire aux allures de mise en scène savamment orchestrée.
Report stratégique et verrouillage des détenus
Le tribunal a choisi de jouer la montre en reportant l’audience au 11 avril 2025, tout en opposant une fin de non-recevoir aux demandes de mise en liberté des accusés. Ce refus catégorique confirme la ligne dure adoptée par les autorités et alimente l’hypothèse d’un procès conçu comme une démonstration de force dont le verdict est déjà écrit plutôt que comme un exercice impartial de justice.
Une mobilisation, en dehors du tribunal
Loin de se résigner, familles des détenus, militants et figures politiques ont investi les abords du tribunal pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une parodie de justice. Au cœur de leur indignation : la décision du ministère de la Justice d’imposer une comparution à distance, perçue comme une manœuvre visant à neutraliser les accusés et à saboter leur défense. Les manifestants ont scandé leur rejet d’une justice télécommandée et ont exigé la libération des prisonniers politiques, dénonçant un procès sur mesure destiné à éradiquer l’opposition.
Une audience sous haute tension : contestation et chaos
Dans la salle 6 du tribunal de première instance de Tunis, l’atmosphère était électrique. Journalistes, diplomates, activistes et plus de 100 avocats étaient présents, parmi lesquels l’ex-bâtonnier de Paris et l’avocat algérien Me Mustapha Bouchachi.
Dès le coup d’envoi, les proches des détenus ont explosé de colère face à l’absence des accusés, dont la présence physique était pourtant essentielle à la régularité du procès. L’agitation a contraint le juge à suspendre brièvement la séance, signe d’un climat explosif.
Lors de la reprise, Me Laroussi, président de l’Ordre des avocats de Tunis, a dénoncé la tenue du procès à distance, qualifiant cette méthode de subterfuge grossier destiné à priver les accusés d’un droit fondamental à la confrontation directe avec leurs juges et leurs accusateurs.
La contestation ne s’est pas arrêtée là. Chaïma Issa, accusée dans cette affaire, a fustigé cette justice dématérialisée, tandis que Jawhar Ben Mbarek, détenu à la prison de Mornaguia, a refusé de comparaître à distance. La défense a immédiatement dénoncé l’absence de toute preuve officielle de ce refus, s’interrogeant sur une tentative délibérée d’escamoter les accusés du procès.
D’autres voix se sont élevées : Ayachi Hammami a fustigé un simulacre de justice, tandis que Riadh Chaïbi a exprimé sa détermination à être jugé dans des conditions dignes, et non à travers un écran de prison.
L’affaire a pris une tournure plus inquiétante avec le cas de Sahbi Atig, qui s’est vu attribuer un refus de présence qu’il n’aurait jamais signé. Pour pallier l’absence de preuves, les autorités ont eu recours au témoignage de prisonniers de droit commun censés attester de son refus – une pratique ahurissante et juridiquement contestable.
Dans une déclaration, Sayed Ferjani, s’exprimant depuis sa cellule, a affirmé que le procès est une mascarade, dénonçant un acte d’accusation truffé d’incohérences et de manipulations.
Quant à Kamel Eltaïef, son avocat Amin Mahfoudh a révélé qu’il n’avait même pas été informé de la tenue du procès à distance, ce qui constitue une violation flagrante des droits de la défense.
Un tribunal aux ordres et une procédure bâclée
Un simulacre de comparution : la tenue du procès à distance est perçue comme une manœuvre grossière visant à priver les accusés de la parole et à neutraliser l’impact de leur défense devant l’opinion publique.
Violation manifeste de la présomption d’innocence : la couverture médiatique biaisée de l’affaire a contribué à diaboliser les accusés, anéantissant toute prétention à une justice impartiale.
Des magistrats aux compétences douteuses : l’avocat Amin Bouker a révélé que l’adjoint du juge principal n’a aucune expertise en matière de terrorisme, soulevant des doutes quant à la légitimité même de la cour.
Une justice sous tutelle : l’avocat Samir Dilou a dénoncé un fait troublant : l’ordre de tenir le procès à distance ne vient pas du juge, mais de l’administration du tribunal, une ingérence scandaleuse qui trahit la mainmise du pouvoir exécutif sur la justice.
Levée du bâillon médiatique : la vérité va-t-elle enfin éclater ?
Après des mois d’obscurantisme, l’interdiction de publication sur l’affaire du complot a enfin été levée. C’est désormais à la presse indépendante – très mal au point – de mettre à nu les zones d’ombre de cette affaire, loin des éditorialistes dociles et des faiseurs d’opinion aux ordres.
Et maintenant ? Les enjeux de la prochaine audience
– La bataille pour la présence physique des accusés promet de polariser encore davantage les débats.
– L’intensification des pressions nationales et internationales pourrait contraindre les autorités à desserrer l’étau sur les détenus.
– L’ouverture des médias à la couverture de l’affaire pourrait révéler de nouvelles manœuvres de manipulation judiciaire.
– L’audience du 11 avril 2025 sera un véritable test pour mesurer jusqu’où le pouvoir est prêt à aller pour verrouiller ce procès.
Un procès qui dépasse la simple question judicaire
L’affaire du «complot contre la sûreté de l’État» n’a plus grand-chose à voir avec la justice : elle est devenue un marqueur de l’état de dégradation générale de la Tunisie. Chaque décision judiciaire, chaque manœuvre procédurale, chaque coup de force médiatique dessine les contours d’un pays où le droit est perverti sous les coups d’une autorité autoritaire. L’avenir du procès ne dira pas seulement le sort des accusés, mais aussi celui de la justice tunisienne tout entière et de la Tunisie en tant qu’Etat et pays indépendant.
Communiqué.
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