Il y a aujourd’hui comme un grand malaise dans le milieu des affaires en Tunisie qui ne semble pas inquiéter outre mesure le président de la centrale patronale, lequel brille par son silence assourdissant. La rencontre de Samir Majoul, hier, avec le président Kaïs Saïed a-t-elle permis de dissiper les craintes et les malentendus ?
Par Imed Bahri
«La lutte contre la corruption ne vise pas les hommes d’affaires qui opèrent dans le plein respect de la loi», a déclaré le président Kaïs Saïed, en rencontrant lundi 20 novembre 2023, au Palais de Carthage, le président de l’Union de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Samir Majoul.
Cette rencontre a été l’occasion pour le président Saïed de rappeler le rôle national de l’Utica et d’appeler tous ses membres à soutenir les efforts de l’Etat en cette phase historique que traverse la Tunisie, indique un communiqué de la présidence.
Le président de la république a expliqué que la majorité des hommes d’affaires sont victimes de la corruption, qu’il s’agisse des propriétaires de grands groupes ou de petites et moyennes entreprises, ajoutant que bon nombre d’entre eux se plaignent encore d’une législation conçue pour le bénéfice de quelques-uns d’entre eux et souffrent des lobbies qui veulent s’approprier toutes les richesses du pays, tout en se protégeant à travers cette législation et ses mises en œuvre.
Le président Saïed a, par ailleurs, souligné la nécessité pour les institutions financières en général de jouer un rôle dans la promotion d’une économie nationale fondée principalement sur l’autonomie et la création de richesses réelles bénéficiant à tous sur la base de la justice sociale. «La richesse calculée sur la base des rentes et les taux de croissance, établis sur cette base par la tromperie et la désinformation, ne constituent pas une richesse sur laquelle une économie nationale peut être fondée», a-t-il déclaré.
Climat d’incertitude et de manque de confiance
Le président de la république a également souligné la nécessité pour l’Utica de contribuer à la baisse des prix, étant donné que la hausse excessive des prix d’un certain nombre de matières premières a pesé sur l’écrasante majorité des Tunisiens, y compris les petits commerçants et les industriels, et que les défis ne peuvent être relevés que grâce au soutien mutuel et à la solidarité.
Cette rencontre intervient dans un contexte d’incertitude et de manque de confiance alimenté par les poursuites judiciaires intentées contre un certain nombre d’hommes d’affaires, et pas des moindres, pour blanchiment d’argent, sans parler de la crise économique sévissant dans le pays depuis une douzaine d’années et de la décélération du rythme de l’investissement, seul créateur d’emploi, de richesse et de croissance.
«Ouvrir tous les dossiers sans hésitation», déclare Kaïs Saïed.
La déclaration du chef de l’Etat a-t-elle rassuré les opérateurs économiques, dont beaucoup envisagent sérieusement de redéployer leurs activités sous des cieux plus cléments, la Tunisie étant devenu à leurs yeux un site à haut risque ?
Qu’on nous permette d’en douter, d’autant que l’interlocuteur du jour, Samir Majoul en l’occurrence, ne représente plus aujourd’hui que lui-même. Et pour cause. Il brille par son silence assourdissant, évitant de faire des déclarations publiques pour défendre les intérêts de ceux qui l’ont élu, sachant que son mandat s’est légalement achevé le 31 décembre dernier et qu’il refuse d’organiser des congrès pour renouveler les structures régionales de l’organisation patronale, tout en renvoyant le nouveau congrès national électif aux calendes grecques. «M. Majoul se soucie plus de ses propres intérêts en soignant ses relations avec l’Etat que du climat des affaires dans le pays qui se détériore sans qu’il bouge le petit doigt», affirment ses détracteurs. Ambiance…
Pressions sur la justice et le milieu des affaires
Sur un autre plan, en rencontrant le même jour, au palais de Carthage, la ministre de la Justice Leila Jaffel pour lui rappeler – pour la énième fois – la nécessité d’accélérer l’examen des nombreuses affaires pendantes depuis de nombreuses années afin qu’elles soient tranchées dans un délai raisonnable, et d’«ouvrir tous les dossiers sans hésitation», comme le précise le communiqué de la présidence, le chef de l’Etat semble vouloir maintenir la pression sur, à la fois, la justice et le milieu des affaires, alors que la liste des hommes d’affaires incarcérés ne cesse de s’allonger.
En appelant, notamment, les juges à «assumer leur responsabilité historique en punissant tous ceux qui ont péché contre le peuple» (sic !), Kaïs Saïed continue d’agiter la théorie du complot, de faire porter la responsabilité de la crise aux comploteurs, corrompus et autres spéculateurs, et de lancer des avertissements ou des menaces. Et ce faisant, il ne fait qu’attiser les craintes des opérateurs économiques qui sentent comme une épée de Damoclès pendant sur leur tête.
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