Un journaliste tunisien détenu est libéré mais la crainte pour la liberté de la presse n’est pas dissipée. Des journalistes et des militants des droits de l’homme affirment que le gouvernement utilise la loi contre la diffusion des fausses nouvelles pour étouffer la liberté d’expression.
Par Ghaya Ben Mbarek
Un juge tunisien a ordonné mercredi dernier la libération du journaliste et expert des médias Zied El-Heni, le condamnant à six mois de prison avec sursis. M. El Heni était en détention depuis le 1er janvier après avoir tenu des propos critiques à l’égard du ministre tunisien du Commerce, Kalthoum Ben Rejeb, dans une émission de radio.
Ses propos ont poussé le parquet de Tunis à ordonner son arrestation et ses poursuites en vertu d’une loi qui punit «l’utilisation des réseaux de télécommunications pour nuire ou insulter autrui».
En septembre 2022, le président tunisien Kaïs Saïed avait fait promulguer le décret 54 contre la diffusion de fausses informations en ligne, prévoyant des peines de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans pour les contrevenants.
Un décret contraignant
Toute personne reconnue coupable d’avoir utilisé les réseaux d’information pour «promouvoir [ou] publier… de fausses nouvelles» portant atteinte à la sécurité publique et à la défense nationale risque une peine de cinq ans de prison et une amende de 50 000 dinars tunisiens (15 600 dollars).
La peine de prison pourrait être doublée jusqu’à 10 ans si la victime est un agent public.
Depuis la publication du décret contraignant, des journalistes, des hommes politiques et des militants ont exprimé leurs inquiétudes quant aux effets qu’il pourrait avoir sur la liberté d’expression et la liberté de la presse.
«À l’occasion du 13e anniversaire de la révolution, les autorités [envoient] un message de mépris pour cette révolution contre [le président déchu] Ben Ali», a déclaré Zied Dabbar, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) au National devant le Tribunal de Première Instance de Tunis avant la libération de M. El-Heni.
M. Dabbar a déclaré qu’au moins sept journalistes tunisiens seraient jugés pour des accusations similaires, conformément au même décret. «En plus de 65 ans d’indépendance, nous n’avions jamais imaginé que nous arriverions au point où trois journalistes tunisiens se trouvent derrière les barreaux», a-t-il ajouté.
Le 4 janvier, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a adressé une lettre ouverte au président tunisien, l’exhortant à exercer ses pouvoirs de chef de l’Etat «pour faire respecter la constitution et protéger la liberté de la presse».
Vengeance contre les journalises
Deux journalistes ont été emprisonnés l’année dernière, suite à la promulgation du décret 54.
Le journaliste de radio Khalifa Guesmi purge une peine de cinq ans de prison – la peine la plus lourde jamais infligée à un journaliste dans le pays – pour avoir été accusé d’avoir compromis une opération de sécurité après avoir publié un article utilisant des informations provenant d’une source officielle.
Parallèlement, la source de M. Guesmi a été condamnée à 10 ans de prison.
Une autre journaliste, Chadha Haj Mbarek, est en détention provisoire depuis septembre 2021 pour avoir prétendument comploté contre la sécurité nationale de l’État, malgré le fait que la loi tunisienne n’autorise pas plus de 18 mois de détention provisoire, même dans les affaires liées à des soupçons de terrorisme.
«Aujourd’hui, malheureusement, les instances judiciaires ne respectent pas la liberté en tant que valeur et il existe une tendance à la vengeance à l’égard des journalistes», a déclaré M. Dabbar.Et d’ajouter : «La construction des nations ne passe pas par l’emprisonnement des journalistes et leur humiliation, et encore moins par des discours discriminatoires et la propagation de la haine».
Traduit de l’anglais.
Source : The National.
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