Ranjit Singh : Le destin manqué d’une Inde au-delà des castes, des religions, et de la domination anglaise

Ranjit Singh a su préserver le royaume multiconfessionnel du Punjab mais de son vivant seulement, pendant cinquante ans. Mais sa plus grande et sa plus grave erreur fut de ne pas tenter de s’opposer au diktat des Anglais sur le sous-continent.

Dr Mounir Hanablia *  

Ranjit Singh fut le fondateur de l’éphémère Royaume du Punjab (le Durbar ainsi qu’on l’a nommé) au XIXe siècle qui dura une cinquantaine d’années, entre l’Afghanistan, le Cachemire et le Sind et la rivière Sutlej. Devenu borgne après avoir été frappé par la variole, il avait l’habitude de dire: «Dieu a fait que je regarde tous les livres saints du même œil». Il unifia par la ruse, la force, les alliances matrimoniales, sous son autorité, la douzaine de principautés sikhes qui jusque-là avaient dominé la province après la décadence de l’empire Moghol et les terribles invasions afghanes du XVIIIe siècle. Mais l’État ne fut pas confessionnel, les Sikhs minoritaires y constituèrent certes la noblesse guerrière et s’assurèrent conséquemment la possession des meilleures terres, mais les Musulmans majoritaires et les Hindous y jouèrent aussi un grand rôle.

Il n’empêche; si le maharajah fut tolérant, et pas particulièrement respectueux des préceptes de sa religion, il faut rappeler que l’adhan récité du haut des minarets des mosquées était tenu pour une manifestation de la domination musulmane, qui chez les Sikhs n’avait pas laissé les meilleurs souvenirs, et de ce fait, les muezzins furent souvent décapités. 

Le diktat des Anglais

En réalité, l’État fut le porte-drapeau du nationalisme Punjabi. Et la politique expansionniste vers les collines et les contreforts de l’Himalaya, vers la passe de Khyber, visait à garantir les frontières contre les Gurkhas en provenance du Népal, et les Afghans. Mais l’extension du Royaume du Punjab fut bloquée par les Anglais qui l’empêchèrent de s’assurer le contrôle des principautés sikhes du Malwa à l’est de la rivière Sutlej jusqu’à Delhi, puis vers le sud en direction de l’océan indien et de la vallée de l’Indus. A l’ouest, elle mena à l’occupation de Peshawar et de la province du Nord-Ouest, puis à contenir les guérilleros indo-afghans de l’Imam Syed Ahmed Barlawi, qui vaincu et tué à Balakot en 1821, n’en fut pas moins enterré décemment par ses ennemis non-musulmans. Au nord-est par la chaîne de l’Himalaya jusqu’au Népal et aux confins de la Chine, l’entreprise de conquête du général Zorawar Singh se solda par un échec, la logistique et les rudes conditions climatiques l’expliquant en partie.

Il reste que Ranjit Singh essaya de s’immiscer dans les affaires afghanes en tentant d’aider Shah Shuja à se saisir de la couronne au détriment de Dost Muhammad. Mais c’était sans compter une nouvelle fois avec les Anglais qui, inquiets de voir les Russes envahir l’Afghanistan, décidèrent d’occuper Kaboul, et Ranjit Singh n’eut d’autre choix que d’accepter de coopérer militairement à l’entreprise.

La singularité du Royaume du Punjab s’est située dans sa puissance militaire, sans équivalent dans la région, et qui lui permit de triompher des invincibles guerriers afghans qui pendant près de 800 ans avaient ravagé le nord de l’Inde sans rencontrer de résistance.

Le maharajah Ranjit Singh, illettré mais doté d’une vive intelligence et d’une curiosité sans limites, avait très vite saisi la supériorité militaire européenne et engagé de nombreux officiers, dont plusieurs réformés de la grande armée de Napoléon Bonaparte, pour entraîner la sienne, qui fut de surcroît dotée d’une puissante artillerie. Sa plus grande et sa plus grave erreur fut de ne pas tenter de s’opposer au diktat des Anglais sur le sous-continent, ou à tout le moins, de les refouler jusqu’à la frontière Yamuna.

Un Etat démembré dès sa naissance

Certes, cela lui permit de préserver son royaume mais de son vivant seulement. Les péripéties de la conquête anglaise du Punjab sept années après sa mort prouvèrent que la chute du Royaume fut plus due à un commandement politique et militaire déficient qu’à une quelconque supériorité militaire, ainsi que l’ont reconnu les Anglais eux-mêmes.

Pour conclure, lors de l’Indépendance de l’Inde en 1947, les Anglais ne rétablirent pas le royaume du Punjab, mais ils créèrent à la place un État tampon, entre l’Inde et l’Afghanistan, le Pakistan, dont l’élément dominant était justement les Punjabis musulmans. Cet Etat démembré dès sa naissance en deux ailes, occidentale et orientale, joua à l’issue de la sécession du Bangladesh un rôle crucial dans la défaite et même la chute de l’Union Soviétique en 1990 après l’invasion de l’Afghanistan de 1979.

Le défi actuel pour l’Inde consiste à empêcher toute union ou fédération entre l’Afghanistan et le Pakistan. En effet, l’Histoire prouve que toute puissance contrôlant Kaboul et Lahore dominera inévitablement un jour ou l’autre Delhi et la vallée du Gange. 

Médecin de libre pratique.   

‘‘Ranjit Singh, Maharaja Of The Punjab’’, de Khushwant Singh, éd. Penguin Random House India, 18 avril 2017, 248 Pages.

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