L’hydrogène vert : un pari sur les avancées technologiques à venir

Les prévisions de réduction des coûts de production, de stockage et de distribution de l’hydrogène vert, sur lequel la Tunisie semble vouloir bâtir son avenir énergétique, dépendent fortement des avancées technologiques futures que personne ne peut prédire avec précision. Le rêve de l’hydrogène vert ne doit pas se transformer en mirage.

Yahya Ould Amar *

Dans le contexte de la transition écologique, l’hydrogène vert est souvent présenté comme un nouvel eldorado énergétique. Cette vision prometteuse est nourrie par des espoirs de transformation industrielle et de prospérité économique.

Pourtant, en dépit de l’enthousiasme généralisé, il est essentiel de ne pas se laisser emporter par des rêves qui, en ignorant les incertitudes sur d’éventuelles avancées scientifiques, risquent de compromettre notre crédibilité collective.

Il est juste de considérer que les obstacles à surmonter pour la production, le stockage et la distribution sont nombreux et complexes. L’horizon de réduction des coûts de production de l’hydrogène vert à des niveaux compétitifs par rapport aux sources fossiles est incertain.

L’investissement dans l’hydrogène vert repose sur le pari que des avancées technologiques à venir permettront de produire, stocker et distribuer cette énergie à moindre coût. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Des défis techniques et économiques à surmonter

Actuellement, les coûts de production de l’hydrogène vert sont élevés par rapport à d’autres sources d’énergie. Selon les estimations, produire de l’hydrogène à partir de gaz naturel coûte entre 1 et 3 dollars par kilogramme, tandis que l’hydrogène vert coûte entre 4 et 12 dollars par kilogramme. Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), indique que la production mondiale d’hydrogène vert était d’environ 0,7% de la demande totale d’hydrogène, qui s’élevait à 95 millions de tonnes en 2022.

L’hydrogène vert, produit à partir d’énergies dites «renouvelables», est souvent encensé sans une pleine compréhension des défis techniques et économiques qu’il implique. La réalité est que la production d’hydrogène nécessite une quantité considérable d’énergie, et cette énergie doit provenir d’une autre source d’énergie.

En physique, nous savons que l’énergie ne se crée pas, elle se transforme. Cette vérité fondamentale, inscrite dans le théorème de Noether, stipule que l’énergie est une grandeur abstraite qui se conserve en vertu de l’invariance des lois physiques dans le temps. Autrement dit, la production de l’hydrogène vert nécessite une autre forme d’énergie, en l’occurrence celle provenant des flux renouvelables (solaire, vent). Scientifiquement, il n’existe pas de «consommation» d’énergie mais transformation en une autre énergie (thermique, mécanique…).

Ainsi, parler de production d’hydrogène à partir d’énergies «renouvelables» est un abus de langage ; il s’agit plutôt de transformer une forme d’énergie en une autre, en utilisant des flux tels que le vent ou le soleil.

Malgré cela, les discours publics entretiennent souvent l’idée que ces flux renouvelables peuvent à eux seuls résoudre nos crises énergétiques. Cet optimisme, bien qu’utile pour galvaniser les efforts collectifs, repose sur une compréhension simpliste des lois de la thermodynamique et des défis techniques de la conversion énergétique. Par exemple, l’électrolyse de l’eau, le procédé le plus courant pour produire de l’hydrogène vert, est énergétiquement coûteux et inefficace dans sa forme actuelle. Les technologies doivent encore faire l’objet de percées significatives pour devenir économiquement viables.

En poursuivant ces rêves sans une évaluation rigoureuse de la réalité, nous risquons de créer des attentes irréalistes. Cette approche peut s’avérer dangereuse, car elle pourrait engendrer une déception collective et une perte de confiance lorsque ces attentes ne seront pas satisfaites. L’illusion d’un nouvel eldorado pourrait ainsi se transformer en une douloureuse prise de conscience des limites de nos capacités technologiques actuelles.

Prévisions pour d’autres sources énergétiques

Parallèlement, d’autres sources énergétiques émergent comme des alternatives potentielles. Les biocarburants de nouvelle génération et les réacteurs nucléaires de quatrième génération offrent des perspectives intéressantes. Chacune de ces technologies présente des avantages et des défis spécifiques en termes de coût, de maturité technologique et d’impact environnemental.

L’avenir énergétique mondial reposera probablement sur un mix diversifié de sources renouvelables et de technologies avancées. L’hydrogène vert y jouera un rôle, mais il ne sera pas la panacée. La complémentarité entre les différentes énergies sera essentielle pour atteindre les objectifs de neutralité carbone.

En fin de compte, il est essentiel de maintenir une perspective équilibrée et éclairée sur les promesses et les limites de l’hydrogène vert. Plutôt que de se complaire dans des visions utopiques, il est impératif de reconnaître les défis et de les aborder avec une approche scientifique rigoureuse.

Les prévisions de réduction des coûts de production, de stockage et de distribution dépendent fortement des avancées technologiques futures que personne ne peut prédire avec précision. Le rêve de l’hydrogène vert ne doit pas se transformer en mirage. La stabilité des nations et la crédibilité des institutions dépendent de notre capacité à conjuguer ambition et réalisme.

Toutefois, le potentiel de l’hydrogène vert pour transformer le paysage énergétique mondial en fait un pari que de nombreux gouvernements et entreprises n’ont pas hésité à prendre.

* Economiste, banquier et financier.

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