Toto` Schillaci au paradis des artificiers du football

59 ans. C’est l’âge auquel Salvatore «Toto`» Schillaci, meilleur buteur de la Coupe du Monde Italia 90 est décédé, mercredi 18 septembre 2024. Avec fatalisme. Des suites d’un cancer. Dans un hôpital palermitain. Rejoignant ainsi son compatriote et confrère Paolo Rossi, décédé en 2020 à 64 ans, meilleur buteur de Espana 82, au paradis des artificiers du football.

Jean-Guillaume Lozato *

Palerme. Un mois de septembre chaud et ensoleillé. Le ciel sicilien a vu un de ses astres rejoindre définitivement la galaxie des célébrités défuntes. Avec pour flash-back inévitable l’été 1990 pour comprendre l’émotion suscitée par la disparition d’une immense figure sportive nationale.

Des divisions inférieures à la gloire internationale. C’est ce qui résume la fulgurance de la réussite d’un homme venu du Sud profond de l’Italie. Partout où il est passé, Schillaci a fait du mal aux défenses adverses.

Passé par la section régionale des amateurs du championnat italien, ses exploits ont eu pour effet de faire arriver Messine en Serie B où il termina en tête du classement des buteurs.

L’expression du talent du natif de Palerme allant crescendo, il incorpora la grande Juventus de Turin pour l’exercice 1989-1990. Le temps d’évoluer positivement dans cette première division italienne monstrueuse à l’époque. Le temps de gagner une Coupe d’Italie et une Coupe UEFA. Le temps de se préparer, de se bonifier pour faire parler de lui au plus haut niveau (a terminé la saison avec 15 buts au compteur, à une longueur du mythique Diego Maradona). Internationalement.

Troisième avec l’équipe nationale italienne au «Mondiale» organisé en Italie, le Juventino a marqué les esprits en marquant 6 buts le plaçant premier au classement des réalisateurs de ce tournoi majeur. Comme Paolo Rossi huit ans plus tôt, avec un nombre de réalisations identiques.

Après la gloire, l’errance

Par la suite, l’après-Coupe du monde a laissé d’évidentes traces psychologiques. Trop de pression sur les épaules d’un garçon qui avait tout vécu très vite. Trop vite ?

Sûrement trop stressé et mal conseillé, l’avant-centre a terminé sa carrière au Japon, après une parenthèse à l’Inter de Milan et un rendement irrégulier. Sorte d’exil faisant songer au départ temporaire de Gerd Muller, autre très grand chasseur de buts (meilleur buteur allemand) aux États-Unis à la fin des années 70.

Qu’importe, l’image de Salvatore le Sicilien aux yeux exorbités et à la spontanéité si impressionnante dans le geste lui procure l’avantage de lui faire accorder le pardon en plus de la reconnaissance des supporters. Un sauf-conduit qui a été le précieux sésame de son homologue toscan Paolo Rossi.

Les deux légendes ont contribué à la rédaction du Livre d’Or des épopées italiennes sportives. R.I.P.

Hommage mérité

L’Italie se retrouve orpheline de celui qui avait illuminé tout un été par sa percussion sur le terrain et son enthousiasme qui mettait en confiance ses coéquipiers tétanisés par l’enjeu d’évoluer devant leur public.

Incisif, décisif, technique (pensons à sa passe en aile de pigeon contre l’Uruguay), physique, diabolique, magique. Tellement de substantifs peuvent renvoyer à son état de grâce des mois de juin et juillet 1990.

A la différence de Paolo Rossi, lui aussi Juventino au moment des faits marquants, l’insulaire a su marquer dès le début de la compétition pour mettre en route la machine Squadra Azzurra dirigée alors par Azeglio Vicini. Son prédécesseur, lui, avait attendu le second tour pour fracasser le Brésil par un triplé meurtrier.

Autrement, les deux hommes avaient quelques similitudes. La taille peu élevée (1,73 mètre pour Schillaci et 1,74 mètre pour Rossi), l’art de se faire oublier (comme plus tard Pippo Inzaghi) pour mieux surgir impitoyablement, et le talent. Ajoutons à cela la fait de ne pas appartenir à l’Italie du Nord industriellement triomphante (Italie centrale pour Rossi, Italie du sud pour Schillaci) qui a agi comme un élément fédérateur au niveau national.

Oui, comme il a été rendu un hommage appuyé à Paolo Rossi à sa mort, notre regretté ressortissant du «Mezzogiorno» mérite une holà planétaire.

Toto` n’est plus. Il demeure néanmoins éternel dans nos souvenirs. Penser à lui revient à évoquer une Italie berlusconienne insouciante, tant dans le football que dans la vie quotidienne. Lui et son coéquipier Roberto Baggio, autre grande idole de ces années 1990, ont enchanté ce que les Italiens avaient surnommé les «Nuits magiques» de ce temps estival de bonheur collectif.

Le dur réveil pour la Squadra Azzurra

Une page s’est tournée. Les années 80 et 90 correspondant à un âge d’or du foot italien semblent reléguées subitement aux archives avec la disparition de ses deux meilleurs buteurs en Coupe du Monde. Un tome d’Histoire dont la couverture refermée claque comme une grande gifle dans la figure de tout nostalgique du ballon rond. Un choc qui peut réveiller comme assommer.

Attention au réveil brutal pour les footballeurs italiens et leurs dirigeants. Il est temps de repenser à la compétitivité du sport professionnel en question. La première étape sera la remise en question, en admettant le manque criant d’individualités pour la «Nazionale» actuelle qui est peut-être la moins performante à égalité avec celle de 1955-1960.Si ce n’est la plus mauvaise pour le moment sur le papier. Celle d’après consistera à créer puis consolider une osmose collective car actuellement le buteur providentiel italien n’est pas encore arrivé.

A l’échelle européenne et mondiale, le souvenir de ces deux grands champions qu’ont été Paolo Rossi et Salvatore Schillaci ravive le sentiment que les performances des équipes nationales sont tout aussi importantes que celles des grands clubs animant la Ligue des Champions. Penser à Schillaci prouve que l’on peut rêver tout éveillé et que l’Italie est à l’origine un sérieux pourvoyeur de talents tant sa révélation mondiale a été une excellente surprise lançant la dernière décennie du siècle passé.

* Universitaire et écrivain.