Vue de Washington, l’aventure démocratique en Tunisie apparaît comme un bateau en détresse, qui tangue et fonce droit sur un iceberg, dont la partie invisible est plus imposante que la partie visible. Les dégâts d’un effondrement de la Tunisie peuvent déborder sur les pays voisins. Le problème n’est pas seulement tuniso-tunisien…
Par Moktar Lamari, à Washington *
Sans le dire explicitement, les experts et les observateurs présents ici à Washington pour les Rencontres du Printemps du FMI, sont convaincus que l’équipage à la barre en Tunisie est plutôt émotif, sans feuille de route et surtout porteur de projets souvent sans rationalité évidente!
Une démocratie «écervelée»?
Certes, c’est un jugement sévère, mais pas pour rien! Et pour cause, le modèle démocratique, instauré depuis le jour J. de la naissance du Printemps arabe en 2011, confronte les Tunisiens (expatriés ou locaux) à un inconfortable dilemme. Un dilemme clivant et pas facile à arbitrer.
Le dilemme se présente comme suit : Un, rester ferme sur les principes intrinsèques d’une démocratie en émergence, quitte à perdre sensiblement sur le plan économique. Deux, accepter une gouvernance moins démocratique (plutôt autocratique), pour espérer gagner immédiatement, plus sur le front économique et du bien-être matériel.
Et pas pour rien! On est dans une culture arabo-muslumane, bien conservatrice et où la lisibilité n’est pas évidente, l’emprisonnement récent des premiers personnages du parti islamiste le démontre, comme si l’islam tunisien se règle des comptes …
Il faut dire que durant les années de gouvernance de l’islam politique (2011-2021), l’économie tunisienne a été gravement abîmée, balafrée avec une dette qui a explosé. Le tout pour élaborer une démocratie naïve, a-économique et misant totalement sur les apparences.
Tout indique que depuis que le président Kaïs Saïed a repris le contrôle des institutions du pays, le 25 juillet 2021, les citoyens choisissent généralement l’option moins de démocratie, espérant avoir plus d’acquis économiques. Mais, cela n’est pas garanti, et pas simple!
Inconfortable dilemme
Cet inconfortable dilemme s’est cristallisé, avec les différents gouvernements et partis au pouvoir. Il y a eu une douzaine de gouvernement (580 ministres), un millier de parlementaires, une dizaine de partis et 4 présidents. En seulement 11 ans…
Le dilemme a été omniprésent dans la tête de ces élites, comme dans celles qui les ont mis au pouvoir, par le bulletin de vote.
Pourtant il y avait toujours moyen pour sortir de ce dilemme!
Les citoyens auraient pu éviter complètement ce dilemme en s’imposant un minimum de rationalité, et moins d’émotivité, pour rationaliser leur compréhension de la démocratie.
Dans les sociétés démocratiques à transition bien implantée dans l’histoire, lorsqu’un politicien avance des politiques indésirables et inefficaces sans violer les règles et les normes démocratiques, les gens trouvent des moyens de percevoir le comportement comme antidémocratique. Et ils s’insurgent!
En revanche, lorsqu’un politicien agit de manière plutôt antidémocratique pour promouvoir les politiques économiques qui enrichissent et qui n’appauvrissant pas, les citoyens rassembleront des arguments pour les considérer comme démocratiques. Les citoyens les acceptent à l’aune de l’analyse coûts-avantages.
Des négationnistes de l’économie
Ce n’est donc pas une acceptation délibérée, mais une logique perceptive fondamentalement différente qui motive l’approbation généralisée d’un comportement antidémocratique dans les démocraties d’aujourd’hui.
L’humain est fondamentalement régi par une rationalité qui favorise la survie et souvent la maximisation des finalités sous contraintes des ressources disponibles.
C’est la logique d’optimisation. Une logique fondée sur la rationalité. Et le bon sens… Or cette rationalité fait plutôt défaut dans les politiques menées actuellement par les parties prenantes concernées.
Solutionner le dilemme c’est mettre plus de logique, plus de méthode et plus de science dans la gouvernance et la gestion de l’Etat.
Plus que les constitutions et les discours populistes, la démocratisation de la Tunisien a besoin de plus de rationalité impliquant le raisonnement, la démonstration et l’anticipation.
Quand on fait fonctionner le cerveau, on communique aux autres un message de sagesse, de crédibilité qui génère de la confiance et le respect. C’est valable pour les humains, comme pour les économies et les élites politiques de manière générale.
Aux 4000 participants des Rencontres des Spring meetings du FMI et la Banque mondiale (10-16 avril 2023) la minuscule délégation tunisienne a donné cette impression d’ambivalence et d’un pays ayant une économie qui peut imploser à tout moment…
Olivier Blanchard, macro-économiste de renommée mondiale et ex-économiste principal au FMI, rencontré au siège du FMI ; dit simplement «It looks bad in Tunisia, you have to reform you economy…as a first step!» (Ça s’annonce mal en Tunisie; il faut réformer son économie… comme premier pas !)
Sauver l’économie tunisienne, constitue un premier geste pour sauver la transition démocratique! L’urgence est vitale…
* Economiste universitaire.
Blog de l’auteur. Economics for Tunisia, E4T.
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