Rafael Nadal est, à 36 ans, un âge plutôt avancé, le plus grand tennisman de tous les temps. Ses performances le prouvent. Il est le seul à avoir remporté 22 titres du Grand Chelem. Les deux derniers, ceux de Melbourne en Australie et de Roland Garros en France, datent de 2022. Il a affronté les plus grands tennismen et s’est imposé, et dans les moments décisifs, parfois mis sous pression, il n’a presque jamais faibli, puisant dans ses dernières réserves, comme un héros de légende. La gloire étant éphémère, il faudrait souhaiter que dans quelques années, il ne regrette pas sa débauche actuelle d’énergie… malgré de gros pépins de santé.
Par Dr Mounir Hanablia *
Lors de son dernier match face à Novak Djokovic, le numéro 1 mondial, à Paris, Nadal était mené 5-4 dans le 3e set et le Serbe servait pour revenir à 2 sets partout. Nadal en a renvoyé tous les services, et à chaque fois que son adversaire jouait la balle un peu court, un coup droit gagnant, en général du bras gauche, la plaçait hors de sa portée, souvent dans l’angle opposé du terrain, et parfois sur la ligne. Le champion espagnol a ainsi égalisé puis remporté la partie alors que son adversaire déconfit multipliait les erreurs.
L’autre exemple de renversement spectaculaire de situation a été le match suivant contre Alexander Zverev. Nadal était mené 6-2 dans le tie break du premier set, et Zverev servait pour le gain du set. Finalement c’est Nadal qui l’a emporté 9-7, mais l’un des points a quand même attiré l’attention : un service aux alentours de 200 km/heure déporte l’espagnol à l’extérieur du terrain côté droit qui d’un revers renvoie la balle vers son adversaire monté au filet; elle est suivie par une volée du côté opposé près de la ligne latérale, on pense alors que l’Allemand s’est adjugé le set, quand Nadal surgit en courant et de l’extrémité de sa raquette en coup droit du bras gauche, renvoie la balle dans la direction opposée à sa propre course, hors de portée de son adversaire. En fin de compte, c’est Zverev, 1 mètre 98, 26 ans, qui à la fin du second set finit par abandonner après une chute et une entorse de la cheville.
Nadal, lui, a 36 ans et fait 1 mètre 86, et depuis quelques saisons des rumeurs sur son état de santé suscitent l’inquiétude. Il a été opéré à plusieurs reprises, et après sa défaite contre Novak Djokovic à Roland Garros en 2021, il a disparu des circuits pendant presque 7 mois pour ne reparaître que lors de l’Open d’Australie, qu’il a d’ailleurs remporté en triomphant de joueurs plus jeunes, plus forts physiquement, et indemnes de blessures, tels Denis Shapovalov et surtout le numéro 2 mondial Daniil Medvedev, tous deux battus en cinq set après plus de 5 heures de jeu, dans la chaleur de l’été australien, au terme d’une prodigieuse débauche d’énergie, et parfois en dépit d’un service défaillant. Novak Djokovic, non vacciné, en avait été renvoyé dans les conditions que l’on sait.
Continuer les tournois en «bloquant la douleur»
Cependant, il est désormais de notoriété publique que le champion espagnol a remporté ses deux derniers grands tournois, en dépit d’une souffrance importante d’un os du pied dont il n’arrive pas à se débarrasser, et qui à chaque fois le place dans l’incertitude la plus totale sur ses possibilités de disputer tous ses match dans les tournois, ou bien même de poursuivre sa carrière sportive. Lors du tournoi d’Indian Wells, il a été de surcroît victime d’une fracture de côte, dite de fatigue.
Ainsi au cours d’une interview suivant sa dernière victoire à Roland Garros, il a dit explicitement qu’il ne savait pas s’il allait pouvoir continuer, et il a rendu hommage à son médecin accompagnant espagnol, à l’issue du second match après lequel il ne pouvait plus marcher en regagnant son hôtel, et qui l’a traité pour «bloquer la douleur (ou le nerf )» et lui a permis de continuer le tournoi jusqu’à son terme.
Ainsi c’est un Champion diminué qui a triomphé d’adversaires plus jeunes, super compétitifs, indemnes de lésions sérieuses, et cela intrigue évidemment. En général la douleur s’accompagne d’une décharge de catécholamines qui n’est pas sans conséquence sur le système cardiovasculaire (accélération du pouls, de la tension artérielle, vasoconstriction coronaire). Elle diminue les possibilités physiques de l’athlète, empêche l’entraînement physique et technique, inhibe ou perturbe les réflexes acquis et innés.
Une balle de tennis de 200 Km/heure met 1/2 seconde pour franchir la longueur du terrain, et son renvoi précis d’un coup de raquette dans un intervalle de temps aussi bref met en jeu des mécanismes, nerveux cognitifs et de coordination musculaire, qui entrent dans ce qu’on appelle le réflexe acquis, que l’entraînement et la compétition font acquérir. Or un sportif diminué soumis en outre à un grand stress psychologique, le désir de vaincre et la peur de la défaite, ne réagit pas aussi bien, et les automatismes acquis perdent alors en vitesse, en précision, et en lucidité, pour ne plus s’adapter aux conditions particulières de la rencontre. Mais à supposer que le traitement aboutisse au résultat escompté, l’effet antalgique, celui-ci ne serait pas obtenu sans une diminution de la sensibilité de la jambe malade, et dans les faits, Nadal serait obligé de sillonner pendant plusieurs heures son rectangle d’approximativement 12 mètres sur 8 mètres en se courbant pour renvoyer la balle avec une précision chirurgicale avant même d’en regarder la destination, avec l’une des jambes presque insensible, qui aurait moins de renseignements sur sa position par rapport au sol lors des glissades si fréquentes sur terre battue, tout ceci en évitant torsions ou fractures. Or c’est bien le géant Zverev qui est tombé au cours de leur rencontre, pour ne plus se relever.
Ethique médicale et performances des athlètes
On ignore évidemment tout du traitement administré au champion espagnol, mais la part du mystère s’épaissit du moment que les médications antalgiques s’accompagnent généralement de somnolence, à moins qu’il ne s’agisse d’infiltrations locales.
Il reste aussi à aborder la question de l’éthique médicale et sportive dans le traitement des athlètes, et celui de la douleur en constitue un volet important.
Par ailleurs, le tennis a bénéficié du progrès technologique dans la fabrication des raquettes et des chaussures, et des balles qui du temps de Ivan Lendl semblaient hors de portée sont désormais régulièrement renvoyées. L’entraînement s’est amélioré ainsi que les performances physiques des joueurs et il est douteux qu’un Agassi ou un Connors eussent pu aujourd’hui rivaliser avec les athlètes actuels.
Cependant, lorsque la médecine sportive commence à prendre en compte l’amélioration des performances de l’athlète, en opposition à tout ce qui puisse l’handicaper, le spectre du dopage n’est plus très loin. La douleur est avant tout un puissant signal d’alarme, et essayer de la calmer à tout prix sans en traiter la cause revient souvent à casser le thermomètre pour supprimer la fièvre. Qui plus est, l’ignorer est souvent considéré comme un signe de virilité, ou bien un moyen de masquer sa souffrance en phase de sélection.
Mais malgré le mystère médical qui entoure ses performances, rien ne dit que Nadal se dope ou triche. Et il se peut, ainsi que les médias le prétendent, que sa situation de sportif en sursis lui fasse à contrario acquérir une motivation supplémentaire dont ses adversaires soient privés, qui, jointe à son expérience considérable des courts et des tournois, le rende effectivement invincible. Jusqu’à présent ce qui le différencie physiologiquement de ses adversaires est son hypersudation et ceci peut avoir une signification importante; Nadal lutte ainsi beaucoup mieux contre la surchauffe et l’acidose de son organisme que ses adversaires, et lors de l’effort cela lui permet théoriquement une récupération supérieure qui expliquerait les sensationnels renversements au score dans certains de ses matchs ou la mobilisation d’une énergie supérieure souvent décisive dans les moments les plus disputés de certaines rencontres, mais il faudrait pour cela une étude comparative sur les conditions métaboliques des différents athlètes.
Ce ne sont là que des hypothèses. Mais ce qui néanmoins est certain, c’est que dans sa recherche perpétuelle de la gloire à tout prix, à l’instar de l’Achille de l’Iliade, Nadal soit prêt à payer le prix fort, et que le public et les médias, dans leur quête pathologique du héros, ne le contredisent pas. La gloire étant éphémère, il faudrait souhaiter que dans quelques années, il ne regrette pas ses choix actuels.
* Médecin de libre pratique.
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