Le poème du dimanche : ‘‘Mort et agonie de Sania Saleh’’ (1) de Mohammed Al-Maghout 

Poète, dramaturge, écrivain et scénariste syrien, Mohammed Al-Maghout est né en 1934 à Sleïma et mort en 2006 à Damas. Pionnier de la poésie arabe contemporaine, il a renouvelé les formes traditionnelles dans des textes où se mêlent violence, désespoir et ironie.

L’engagement d’Al-Maghout pour la cause des peuples arabes a fait l’empreinte de son écriture et sa  popularité. Son roman ‘‘Je trahirai mon pays’’ fut l’un des livres les plus lus en Palestine et dans les geôles israéliennes.

Emprisonné en 1955 pour son appartenance au Parti nationaliste syrien alors interdit, il fait la connaissance du poète Adonis en prison et se lance dans l’écriture. Cette expérience de l’enfermement et de la torture puis l’exil au Liban ont une influence capitale sur sa vie et son œuvre.

Poète innovateur, Al-Maghout fut de l’aventure de la revue libanaise Chi’ir aux côtés de Ounsi El-Hajj et Youssef El-Khal. Il a renouvelé les formes traditionnelles de la poésie arabe.

Malgré son refus de toute soumission ou compromis, Mohammed Al-Maghout est revenu vivre en Syrie, toujours fidèle à sa liberté farouche de penser et de dire. Il a même reçu des honneurs nationaux en 2002.

Lors d’un entretien avec le journaliste et poète libanais Youssef Bazzi, Al-Maghout a dit : «Aux Libanais, je dirais: vous Libanais de toutes confessions, laïcs, matérialistes ou spiritualistes… Accrochez-vous au fil de la liberté. Accrochez-vous au talon de la liberté qui vous reste car c’est notre planche de salut. Accrochez-vous aux vestiges de la liberté arabe que vous avez entre les mains. La liberté s’arrache; elle ne se donne pas.»

 (…) Je n’aime ni ville, ni campagne,

Ni lune, ni arbre, ni riche, ni pauvre,

Ni ami, ni voisin, ni café,

Ni montagne, ni plaine, ni enfant, ni papillon.

Dès lors, ma répugnance pour le terrorisme

Ne me laisse aucune chance,

Pas même celle d’aimer Dieu.

Peur du facteur

Vous les prisonniers en tout lieu

Envoyez-moi tout ce que vous avez

De terreur de hurlement et d’ennui

Vous les pêcheurs sur toutes les côtes

Envoyez-moi tout ce que vous avez

De filets vides et de mal de mer

(…) À mon adresse… dans n’importe quel café

N’importe quelle rue du monde

Je prépare un «énorme dossier»

Sur la souffrance humaine

Pour le soumettre à Dieu

Dès qu’il sera signé par les lèvres des affamés

Et les cils de ceux qui attendent

Mais, ô malheureux en tout lieu

Ce que je crains par-dessus tout

C’est que Dieu soit «illettré»2

Le blocus

Mes larmes sont bleues

tant j’ai regardé le ciel et pleuré

Mes larmes sont jaunes

tant j’ai rêvé des épis d’or

et pleuré

Que les chefs partent à la guerre

les amants aux forêts

les savants aux laboratoires

Quant à moi

je vais chercher un chapelet et une chaise

                                                               ancienne

pour redevenir tel que j’étais

vieux chambellan à la porte de la tristesse

puisque tous les livres, les constitutions et les

                                                                religions

assurent que je ne mourrai

qu’affamé ou prisonnier.

Ô touriste !

Mon enfance est lointaine, ma vieillesse aussi

Mon pays est lointain, mon exil aussi

O touriste

donne-moi tes jumelles

que je puisse voir si une main ou un mouchoir

                                       me fait signe en ce monde

Prends-moi en photo pendant que je pleure

accroupi dans mes hardes devant l’hôtel

et écris au dos de la photo :

voilà un poète d’Orient

Étale ton mouchoir blanc sur le trottoir

et assieds-toi près de moi sous cette pluie douce

Je vais te révéler un grave secret

Congédie tes indicateurs et tes guides

jette dans la boue, au feu

toutes les notes et impressions que tu as écrites

N’importe quel vieux paysan

te racontera en deux vers de  »Ataba »

toute l’histoire de l’Orient

en roulant une cigarette devant sa tente.

Poèmes traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi et Jalel El-Gharbi.

Notes :

1 – La poète Sania Saleh est l’épouse d’Al-Maghout.

2 – Mohammed Al-Maghout emploie en arabe – entre guillemets afin de bien souligner sa référence explicite – le terme «ummi» qui désigne dans le Coran l’analphabétisme du Prophète. Pour Rûmî et d’autres mystiques comme Attar, «ummi» signifie également «pu».

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