L’Etat tunisien est champion toute catégorie de la bureaucratie ? C’est le très respecté journal anglais The Economist qui le démontre dans son dernier numéro hebdomadaire. Notre pays est champion du monde arabe à l’aune de la taille de son État. Mais, détrompez-vous, ce n’est pas un exploit, c’est plutôt un drame, et un boulet qui traîne la transition démocratique vers sa perte.
Par Moktar Lamari *
Selon The Economist: le secteur public (Etat et sociétés d’Etat) en Tunisie dévore 60% du budget de l’Etat. Contre 40% pour le Maroc et l’Algérie.
En Tunisie, les fonctionnaires constituent 27% du total de la population active occupée, contre 20%, en Égypte et 17% au Maroc.
Il faut dire que partout dans les pays arabes, les gouvernements ont compris les dangers d’un Etat pléthorique, archaïque, bureaucratique et budgétivore. Et ils ont gouverné pour réduire ces taux, en modernisant l’Etat et en s’inscrivant dans le new public management!
La Tunisie post-2011 a fait tout le contraire du reste des pays arabes… et des États modernes.
Des hordes de fonctionnaires incompétents et politisés
La gouvernance de la décennie post 2011 est à blâmer, tous les partis et élites politiques ayant gouverné le pays ont bourré l’administration publique par des hordes de fonctionnaires incompétents et militant dans les partis politiques au pouvoir. Tous les partis voulaient pénétrer l’Etat et s’infiltrer dans toutes ses articulations, pour mieux s’incruster au pouvoir. Et mieux se servir…
En Tunisie, plus d’un employé sur quatre est fonctionnaire, payé par les taxes et impôts des contribuables. L’effectif de fonctionnaires du secteur public, parapublic et municipal frôle le million sur une population active occupée de 3,6 millions au total.
Depuis 2010, le nombre de fonctionnaires (Etat et sociétés d’Etat) a été multiplié par deux, alors que l’économie est à la peine, avec un taux de croissance moyen proche de zéro pour-cent, sur la période.
Pas seulement, la culture du travail et de la productivité fait défaut. Les statistiques officielles de l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives le confirment.
Un grand nombre de fonctionnaires rémunérés a même le budget de l’Etat sont absentéistes, ne se pointant sur les lieux de travail que quelques heures par semaine. Moins de 7 heures de travail effectif réalisé au bureau ou sur les lieux du travail. Souvent, ces fonctionnaires ont un deuxième emploi dans le privé.
Les salaires absorbent 60% des dépenses publiques
Une autre partie de ces fonctionnaires a été recrutée et promue sur la base de diplômes truqués. Ce fléau concernerait quelques 70 000, selon certaines estimations.
Des factures salariales relativement élevées exercent toujours une pression sur les budgets. Ce qui pousse l’Etat à s’inscrire dans une dette insoutenable, et négliger de facto les services publics et l’investissement dans les infrastructures productives.
Le FMI a estimé que la masse salariale absorbe environ 20% des dépenses publiques dans les pays riches et 30% dans les pays pauvres. Dans la plupart des pays arabes, cette part est supérieure à 40%. La Tunisie fait pire avec 60%.
De par le monde, le nombre de fonctionnaires (sur le total des actifs occupés) a également diminué. Dans les pays de l’OCDE, un club de pays riches, la part moyenne de l’emploi public est inférieure à 18%.
Cette proportion est en baisse, non seulement en Égypte, mais aussi en Jordanie, en Arabie saoudite, au Maroc et même en Algérie. Mais ce n’est pas facile, depuis 2011, en Tunisie, où il y a eu comme une frénésie d’embauche qui a presque doublé la taille du secteur public après la révolution de 2010 contre Zine El-Abidine Ben Ali, l’ancien dictateur du pays.
La facture salariale payée par l’endettement
En Tunisie, même si les gouvernements voulaient licencier le sureffectif de fonctionnaires, les règles de la fonction publique rendent la tâche difficile. Et ils ne le veulent pas, parce que ce serait politiquement impopulaire. On a proposé de geler l’embauche de l’État pour obtenir un accord avec le FMI. Mais, rien n’est fait ce qui risque de précipiter le pays dans les affres d’une banqueroute annoncée.
En 2017, lorsque l’embauche a ralenti, la masse salariale était de 15% du PIB. En 2020, il était de 18%. En 2023, ce ratio est de presque 20%, alors que l’État est à court d’argent, multipliant les retards de paiements de salaires a de nombreux employés. Une bonne partie de la facture salariale est payée par l’endettement au jour le jour! Les banques prêtent à l’Etat pour payer les salaires et hausser l’inflation.
Le secteur public devrait fournir de bons services aux citoyens. Il peut également contribuer à l’expansion de la classe moyenne et à réduire les inégalités de revenus, comme il l’a fait du temps de Bourguiba.
Dans une grande partie du monde arabe, l’Etat ne fait rien de tout cela : les États dépensent beaucoup d’argent et en obtiennent de moins en moins de services de qualité rendus en contre partie aux citoyens.
Le gouvernement tunisien doit repenser l’Etat, réformer ses politiques, se frayer un chemin vers une masse salariale publique plus faible. Et vers des services publics de qualité, avec des fonctionnaires mieux payés, mieux formés et plus efficaces.
D’ici là, les bureaucraties arabes rappelleront une vieille métaphore orientale qui dit que : «La nourriture ici est terrible et les portions sont trop petites.»
* Economiste universitaire au Canada.
Blog de l’auteur: Economics for Tunisia, E4T.
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