La traite transsaharienne et orientale orchestrée par le monde arabo-musulman constitue un sujet encore tabou malgré son impact considérable sur les populations noires. Ce tabou empêche la réflexion et laisse ce crime odieux perdurer dans les faits et… dans les mots.
Par Abdellaziz Guesmi *
Personne ne peut légitimement soupçonner le président de la république Kaïs Saïed d’être raciste ou xénophobe, mais ses récents propos sur les migrants Sub-sahariens ont eu des effets dévastateurs : en Europe où ils légitiment les délires racistes anti-Maghrébins et à l’intérieur, où ils réveillent les sentiments xénophobes, profondément ancrés dans la population. Aussi la lecture d’un livre de référence : ‘‘Le génocide voilé’’, de Tidiane N’Diaye, pourrait-elle aider à remettre certaines idées en place concernant la pratique de l’esclavage dans le monde arao-musulman.
Bien qu’ils étaient nettement plus nombreux à être réduits en esclavage, et ce pendant une période qui s’étend sur plus de 13 siècles, les peuples noirs n’ont d’ailleurs pas été les seuls à être asservis par les musulmans puisque l’on estime que plus de deux millions d’Européens ont été capturés par les corsaires maghrébins qui sillonnaient la mer Méditerranée entre le 16e et le 19e siècle. Bien avant eux, les Slaves ont aussi été réduits en esclavage et acheminés en masse vers les territoires musulmans.
L’esclavage, une pratique arabo-musulmane
«La traite des Noirs d’Afrique par le monde arabo-musulman a concerné dix-sept millions de victimes… de nos jours la majeure partie de l’Afrique est devenue musulmane, d’où une forme de fraternité religieuse entre le côté ‘‘blanc’’ et le côté ‘‘noir’’ du continent, et une volonté commune de ‘‘voiler’’ ce génocide», écrit à ce propos Tidiane N’Diaye.
La traite des Noirs par les Arabes commence en 652, lorsque le général Ibn Saïd impose à Khalidurat, souverain du royaume de Nubie, la livraison de plus de 300 esclaves par an. Dès lors, le commerce des esclaves noirs ne cesse de s’amplifier, gagnant une large part de l’Afrique. Il finira par s’étendre de la côte ouest du continent jusqu’à l’océan Indien, en passant par la mer Rouge.
Dès le début de la conquête arabo-musulmane et au fur et à mesure de l’extension des territoires placés sous le contrôle des troupes du califat islamique, l’esclavage est un véritable pilier qui structure l’ensemble de la société et revêt une importance capitale sur le plan économique.
L’asservissement des populations noires sera légitimé par l’émergence des premières théories raciales de la part d’érudits musulmans respectés dont la pensée faisait largement autorité comme Ibn Khaldoun (1332-1406) qui écrivit que «les nations nègres sont en règle générale dociles à l’esclavage parce qu’elles ont des attributs tout à fait voisins de ceux des animaux les plus stupides».
Ce qui permettra d’ailleurs de contourner l’interdiction absolue d’asservir d’autres musulmans stipulée par le calife Omar (581-644) – certains esclaves noirs capturés par les Arabes étant parfois eux-mêmes de confession musulmane.
Bien qu’il soit difficile de donner des chiffres précis quant au nombre des victimes de ce sinistre trafic, ces esclaves n’ont pas laissé de descendance visible dans le monde arabe puisque leur reproduction a été «empêchée» par des moyens les plus odieux.
Un phénomène qui perdure encore aujourd’hui
Selon Tidiane N’Diaye, il resterait encore plusieurs dizaines de millions de personnes asservies dans le monde à l’heure actuelle, dont une grande partie dans le monde arabo-musulman où l’esclavage perdurerait de fait dans certains pays, notamment en Mauritanie, au Liban, en Libye, en Arabie Saoudite et dans d’autres pays du Golfe.
Latraite transsaharienne et orientale orchestréepar le mondearabo-musulman constitue un sujet encore tabou malgré son impact considérable sur les populations noires. Ce tabou empêche la réflexion et laisse ce crime odieux perdurer dans les faits et… dans les mots.
Dans ce contexte, les récents propos du président tunisien à propos des migrants africains subsahariens doivent nous inquiéter et nous faire honte.
* Proviseur à Grenoble.
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