Les responsables du Théâtre municipal de Tunis ont refusé récemment d’autoriser une représentation de mezoued, jugeant l’institution trop prestigieuse pour accueillir un concert de musique jugée trop populaire par les puristes. Le mezoued s’est pourtant imposé depuis les années 1990 comme un genre musical prisé par le grand public.
Le mezoued, sorte de cornemuse composée de deux cornes de vache reliées à des morceaux de roseau de rivière et d’un sac en peau de chèvre, est un instrument à vent traditionnel qui fait partie intégrante de la musique et de la culture populaires tunisiennes depuis des générations.
Cet instrument à vent évoque des images de rassemblements festifs, de danses joyeuses et de mélodies hypnotiques captivantes.
Mais au-delà de sa dimension folklorique, le mezoued, entendu comme un genre musical, a évolué et s’est réinventé au fil des années, et se retrouve aujourd’hui dans divers styles modernes.
Cet instrument ancien connaît aujourd’hui un moment de gloire particulier avec des soirées dédiées, des groupes sur les réseaux sociaux, des chansons dans les charts, des échantillonnages au sein de chansons de rap.
De la marginalité à la réhabilitation
Apparu pour la première fois en Tunisie au début du XXe siècle, le mezoued est resté confiné aux banlieues populaires pendant des décennies avant d’être intégré à d’autres genres, tels que le hip-hop, la world music et le jazz, avec une popularité croissante qui a conduit les producteurs commerciaux à se concentrer sur ce genre. Les chansons abordent des sujets audacieux «qui critiquent la société, la politique, la migration et le racisme», a déclaré le chercheur en musicologie Rachid Cherif.
Les concerts de mezoued sont traditionnellement organisés dans les quartiers pauvres et marginalisés, notamment lors des mariages. Les paroles des chansons peuvent être cinglantes et même vulgaires, suscitant le ressentiment des familles et déclenchant parfois des bagarres.
Tous ces éléments ont conduit les autorités tunisiennes à interdire le mezoued sur les chaînes de télévision publiques jusque dans les années 1990, incitant les artistes du genre à s’engager sur la voie du changement.
En juillet 1991, un concert ‘‘Nouba’’ mêlant les musiques folk, populaire et soufie est organisé dans l’antique théâtre romain de Carthage et télévisé, marquant une étape majeure dans la réhabilitation du mezoued. S’en est suivi en 2019 une fiction diffusée avec beaucoup de succès pendant le ramadan et intitulée ‘‘Nouba » » (terme désignant la transe mystique), qui replonge les téléspectateurs dans les années 90 avec des remakes de chansons connues de tous qui forment la bande originale d’une histoire d’amour, d’amitié, de musique et de trahison dans une prison tunisienne, d’où est né un sous-genre de mezoued, le «zendeli», mot référant à Zendala, désignant une ancienne prison de Tunis.
Le regain d’intérêt pour la «nouba» reflète en partie le désir des jeunes Tunisiens de revenir à leurs racines. Désormais, ce sont des concerts de mezoued et de hadhra, musique rythmique soufie, qui font salle comble, et de jeunes marques de mode s’inspirent du folklore tunisien.
Une musique aimée mais peu considérée
«Le mezoued est un cri de frustration. C’est obsédant et émouvant», a déclaré Zouhir Gabsi, professeur d’études arabes et islamiques à l’Université Deakin. «Ces communautés ont été marginalisées à cause de leur région, de leur accent.
Ils ont chanté la trahison et l’exil. La musique est alors devenue leur point commun de rédemption. Le mezoued était aimé des Tunisiens, mais il n’était pas considéré comme un «véritable art». Malgré les origines scabreuses de cette musique, l’ambiance des concerts est tout le contraire. Les gens sur scène chantent leurs airs sur des rythmes joyeux, tandis que le public danse de façon démoniaque. Mais un certain snobisme envers l’instrument demeure.
Aujourd’hui encore, le mezoued n’est pas enseigné dans les instituts officiels de musique du pays et en 2022, par exemple, les responsables du Théâtre municipal de Tunis ont refusé d’autoriser une représentation de mezoued, jugeant l’institution trop prestigieuse pour accueillir un tel concert. La question de l’identité n’a jamais été résolue en Tunisie. Et ce qui est encore en marge aujourd’hui, pourrait être, dans 20 ans, définitivement intégré à la culture officielle.
Traduit de l’italien.
Source : Ansamed.
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