La lutte contre l’immigration coûte cher. Ne serait-il pas plus judicieux de créer un «fonds Marshall» eurafricain pour atténuer le déséquilibre de niveaux de développement, créer des opportunités d’emploi au sud et fixer les jeunes africains dans leurs territoires.
Par Fathi Bchir *
Affronter le problème de la présence massive, relativement, de migrants subsahariens. Il le faut mais sans perdre la raison et sans accréditer le sentiment que la Tunisie est, étonnement, devenue xénophobe. La placer dans une situation similaire à celle à laquelle sont confrontés en Europe des jeunes tunisiens partis au-delà de la Méditerranée, à la recherche de travail et de dignité. Désirant simplement vivre.
Un migrant subsaharien en Tunisie est évidemment l’équivalent du migrant tunisien en banlieues françaises, allemandes, italiennes ou belges. Il obéit aux mêmes causes de départ et il est soumis aux mêmes effets. Chacun sera vigilant pour son porte-monnaie.
Mais on ne peut excuser de mauvais comportements ici sans justifier des actes similaires là-bas.
Un jeu dangereux
Les réalités, ici et là sont identiques : la présence massive de populations au statut illégal et de précarité engendre une peur souvent irraisonnée, et des risques déstabilisants pour la sécurité des biens et des personnes, à Sfax comme ailleurs, des deux côtés de la Méditerranée.
La Tunisie n’est pas un cas unique. Entre la Côte d’Ivoire et le Burkina les mêmes mouvements de population avaient produit une horrible situation. Presque un affrontement entre les deux pays. Et là aussi on avait parlé de «modifications ethniques», autre formule du «grand remplacement» agité par l’extrême droite européenne que l’on imite un peu vite au Maghreb et en Afrique de façon telle qu’on ne peut écarter l’idée de manipulations. Les «réseaux» de passeurs conjugués aux faux prophètes du combat contre l’ennemi occidental qui foisonnent sur les réseaux sociaux en particulier sur le chinois Tiktok.
L’Occident, lui, n’est pas innocent dans ce jeu dangereux pour la stabilité des pays africains et dérangeant pour les consciences. Pour nos consciences et notre intégrité morale. Car détester l’étranger c’est déjà se détester. Ou détester son propre état dans son propre pays. En Tunisie, en Europe, en Côte d’ivoire c’est partout le même schéma.
Se mettre à la place de l’autre
La responsabilité de l’Occident est d’entretenir des systèmes économiques destructeurs qui entretiennent le déséquilibre de développement qui, on le voit, est une arme à double, ou multiple, tranchant. Pire qu’un virus mortel pour l’âme.
Il faudrait pouvoir se mettre toujours à la place de l’autre aussi miséreux, obligé de quitter sa terre et les siens. Le migrant provient aujourd’hui du Sahel africain. Qui garantira que ce ne sera pas demain le tour du Tunisien dont le pays deviendrait «l’Ukraine du Maghreb» visée par un voisin avide et vorace dont les bons conseils sont assez fréquents pour valoir avertissement.
A force de répéter «mettez de l’ordre chez vous» il sera peut-être tenté de venir le faire lui-même. Les Tunisiens qui ne voudront pas se soumettre y trouveront un motif supplémentaire pour compter se rendre à Lampedusa ou plus loin.
Dans ce jeu l’Europe porte la plus lourde responsabilité.
Un «fonds Marshall» eurafricain
Elle doit tout faire pour contrer la déstabilisation des voisins au sud de la Méditerranée et elle en a les moyens. Mais l’argent ne doit pas être la seule solution. Elle doit se convaincre avant tout que la menace est globale. Et elle est de ne pas se limiter à créer des hotspots comme elle l’a obtenu de Kadhafi. Ce serait comme des stocks humains gérés par les réseaux. Calais, Sfax ou Zarzis… mêmes résultats. Kaïs Saïd a eu raison de dire non, n’en déplaise à ses adversaires. Pas d’autre choix que de dire je ne veux pas de centres de rétention sur le sol national. Peut-il ou devrait-il seulement accepter une aide pour l’équipement des forces chargées du contrôle des frontières : hélicoptères et autres.
Combien coûte la lutte contre l’immigration ? Sur terre comme en mer et en contrôles aux frontières. Aussi bien en Europe et au Maghreb qu’en Afrique occidentale et centrale. Transformer tous ces montants en «fonds Marshall» eurafricain.
Pour atténuer le déséquilibre de niveaux de développement, l’Europe pourrait plaider auprès de ses partenaires du G7 du G20, en incluant la Chine déjà source d’un fort endettement, un fonds nourri par la reconversion de la dette générale en monnaies locales et avec l’obligation de l’investir dans la création de l’emploi pour les jeunes, pour la formation, l’agriculture et les infrastructures générant des jobs. Le Fonds ne devra être géré ni par l’Europe ni par les gouvernements nationaux seuls mais par le moyen d’une gestion partagée et synergique sans bureaucratie ad hoc.
Chacun aura une voix, paritairement, dans l’allocation de montants liés à des projets.
Simple suggestion.
* Journaliste tunisien basé à Bruxelles.
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