Le poème du dimanche : ‘‘Tu n’as pas abandonné la maison’’ de Samira Negrouche

Née en 1980 à Alger où elle vit, Samira Negrouche est poète, essayiste et traductrice. Médecin de formation, elle se consacre à l’écriture.

Voix importante de la poésie algérienne, Samira Negrouche est traduite dans de nombreuses langues.

Parmi ses publications : À l’ombre de Grenade, Editions Marty (2003); Le Jazz des oliviers, Editions du Tell (2010) ; Quai 2I1, partition à trois axes, Éditions Mazett; Traces, Fidel Anthelme X (2021) ; deux anthologies personnelles : J’habite en mouvement (Poésie 2001-2021), Éditions Barzakh; Stations, Éditions Chèvres-feuille étoilée.

Tahar Bekri

Tu n’as pas abandonné la maison

c’est la maison qui t’a abandonné

ton pays

les bâtisses de ton enfance

ton village

ce bleu particulier

aux dernières heures du printemps

la terre de tes ancêtres

si tu t’en souviens

les cailloux placés là

qu’on replace

sans trop savoir pourquoi

et qui apaisent

qui rassurent nos regards pressés

cet arbre solitaire

au sommet de la colline

que tu n’as pas foulé de tes pieds.

***

Tu n’as pas rangé

les photos de famille

sur un dossier numérique

en prévision d’un déménagement

les photos fanent

comme fanent les roses

mais ne reviennent pas

à la saison suivante

tu penses à ces visages

dilués dans ta mémoire

à ces rues

qui portent un autre nom

à ces glycines

d’un temps perdu

qui tapissent tes narines

à celle que tu planteras peut-être

pour rassembler

tes yeux

***

Tu as habité le sol

sous tes orteils

nul ne prévoit

quand commence le voyage

quand il est temps de quitter

la colline

de cheminer

vers la montagne des autres

nul ne prévoit

où se dessinent les lignes

qui te séparent

de la géographie des autres

de leurs ombres

tu as habité

de tout ton être

la ligne

à traverser

***

Quand on cherche

c’est avec les mains

qu’on observe

avec le corps ouvert

abandonné

à la montagne

c’est dans le mouvement

que s’enracine

la mémoire

dans le mouvement

que s’habite la courbe

ta maison abandonne

qui l’abandonne

s’émiette sur qui veut

rouiller son souffle

ta maison c’est là où tu transportes

ton enfance.

Extraits de Alba Rosa (éditions Color Gang, 2019).

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