En approuvant, jeudi dernier, un projet de loi controversé autorisant la Banque centrale à financer le Trésor, dans une démarche visant à financer le déficit budgétaire, le gouvernement a renforcé les craintes exprimées beaucoup d’experts quant à l’indépendance de l’institut d’émission.
Par Imed Bahri
La tentation de recourir à ce système de financement direct était trop forte, mais le gouvernement a longtemps hésité à faire le pas, sachant que le pays, qui a du mal à mobiliser des fonds extérieurs pour financer son budget, semble s’y être finalement résigné, tout en étant conscientes des risques qu’une telle pratique pourrait induire, sous la pression d’un déficit budgétaire appelé à s’aggraver dans une conjoncture nationale et internationale peu favorable à la reprise économique.
L’idée de permettre à l’Etat d’aller puiser directement auprès de la banque centrale l’argent dont il a besoin pour financer ses dépenses en continuelle progression, sans devoir passer par l’intermédiation des banques, comme cela se passait jusque-là, était préconisée depuis plusieurs années par beaucoup d’agitateurs politiques dans l’entourage du président de la république. Elle a même été défendue sous la coupole du Palais du Bardo par des députés soi-disant opposés à ce qu’ils appellent le «cartel des banques», estimant que celles-ci font des bénéfices dans une économie en crise.
Il a cependant fallu attendre le 8 septembre 2023 pour voir enfin le président Kaïs Saïed devenir un fervent défenseur de cette approche, en déclarant que la loi devait être révisée pour permettre à la banque centrale de financer le budget directement en achetant des obligations d’État, une mesure contre laquelle le gouverneur de la banque Marouane Abassi, a mis en garde dans des déclarations publiques.
Les économistes estiment que l’approbation du projet de loi par le gouvernement renforce les spéculations selon lesquelles le gouverneur, en poste depuis six ans, quittera son poste le mois prochain à la fin de son premier mandat.
Les critiques de cette décision ont déclaré que la modification de la loi de 2016 instaurant l’indépendance de la banque centrale indiquait la probabilité d’une intervention accrue de l’État dans les politiques monétaires, en particulier à la lumière du déficit budgétaire croissant, de la rareté des ressources financières et des difficultés d’emprunt à l’étranger.
Abassi avait averti en 2022 que les projets du gouvernement de demander à la Banque centrale d’acheter des bons du Trésor présentaient des risques pour l’économie, notamment une pression accrue sur la liquidité, une inflation élevée et une baisse de la valeur du dinar, la monnaie nationale. Il a aussi déclaré que cette décision augmenterait de manière incontrôlable l’inflation, qui pourrait atteindre trois chiffres, et «un scénario vénézuélien se répéterait en Tunisie», a-t-il averti.
On s’attend généralement à ce que le projet de loi présenté par le gouvernement soit approuvé sans coup férir par un Parlement aux ordres dans les semaines à venir. Et que le gouvernement, qui a massivement recouru ces deux dernières années à des financements intérieurs à travers les banques de la place, provoquant ainsi une raréfaction des liquidités et un effet d’éviction sur le marché financier aux dépens des entreprises, lesquelles ont de plus en plus mal à se financer, va désormais puiser directement et à satiété dans les fonds de la BCT. Et il y a des craintes à avoir, surtout quand on sait que les besoins du gouvernement en prêts extérieurs vont augmenter dans le budget 2024 pour atteindre environ 5 milliards de dollars, dont 3,2 milliards de dollars dont le gouvernement n’a pas précisé la provenance. Le sait-il d’ailleurs lui-même ?
«Il est clair que la principale source d’obtention de ces prêts (3,2 milliards de dollars) viendra directement de la banque centrale», a averti l’économiste Aram Belhadj dans une déclaration à Reuters.
Avec Reuters.
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