Sport et naturalisations : un nouveau marché aux esclaves

Le discours occidental dominant a réussi à faire rentrer dans les esprits des athlètes du Sud l’idée que leur patrie n’a pas de sens. Courir ou boxer pour un pays européen leur est devenu banal. C’est même devenu un rêve. Comment la nationalité qui est l’élément principal de l’identité a-t-elle été bradée ? Désormais, seul l’argent et la gloire comptent. Par quel processus en est-on arrivés là ? (Illustration : la Néerlandaise d’origine éthiopienne Sifan Hassan a remporté la dernière épreuve de JO de Paris 2024 : le marathon, sport emblématique de l’olympisme. Elle a disputé 4 courses et remporté 3 médailles pour… les Pays-Bas. Son foulard de musulmane n’a pas choqué grand-monde au Parc des Princes lors de la cérémonie de clôture des jeux).  

Mahmoud Gabsi *

 Le sport a toujours réveillé les pulsions les plus instinctives. Un sentiment d’appartenance nationale violent est sollicité quand l’équipe «nationale» est en compétition. Les nationalistes réactionnaires y voient une manière de réveiller périodiquement la fibre patriotique et un appel subliminal à la défense de la nation. Les internationalistes progressistes y voient un appel au chauvinisme, au sectarisme, au sexisme, à la bestialité, voire un appel à la guerre entre les nations.

De la nature à la culture : l’histoire d’une exploitation

Sur le plan international, de nombreux pays ont bien compris le lien entre résultats sportifs et leur image. Les succès sportifs reflètent l’état de santé d’une nation. Ils rapportent des marchés économiques, reflètent la performance et la rigueur et donnent une bonne image. Pour avoir une place prépondérante sur l’échiquier politique international, il faut remporter des médailles olympiques : diplomatie et forces armées en sortent revigorées. Voilà pourquoi les Russes, les Américains, les Anglais, les Allemands, les Chinois et depuis peu les Français ne lésinent pas sur les moyens pour voir leur drapeau flotter et leurs hymnes nationaux remplir les airs lors des grands rassemblements sportifs. La performance sportive est un gage de prestige international.

Or former un athlète de haut niveau est couteux et surtout très long. Face à cet obstacle, dans la lutte pour la domination du sport mondial, où tous les coups sont permis, de nombreux Etats ont opté pour les raccourcis. Ils «achètent» sur le marché international les athlètes étrangers les plus performants et les alignent à côté de leurs natifs nationaux. Un marché existe. Certains le nomment le mercato en football.

Celui des médailles olympiques est plus opaque. Les fédérations internationales qui ont des antennes «nationales» rabattent vers les pays riches les graines de champion. Les centres de formation, les «académies» sportives européennes expatriées dénichent via des agents locaux les perles rares. L’Afrique subsaharienne est le territoire de prédilection de cette prédation au rabais. Les pays sont pauvres et les gouvernements sont dociles.

Mais les athlètes performants sont rares et ceux qui les possèdent, en l’occurrence leurs pays d’origine, et qui sont souvent situés dans le grand Sud souhaitent eux aussi lorsqu’ils sont patriotes réaliser à travers ces derniers des exploits sportifs, entrer dans l’histoire et sortir de l’anonymat. A défaut, ou ils les vendent au prix fort lorsqu’ils ont des affairistes nationaux rôdés à la roublardise occidentale, ou bien ils se les font voler quand le transfert de l’athlète se fait en catimini. Dans les deux cas, le pays d’origine est perdant. Dans le premier, il perd la gloire. Dans le second, la gloire et l’argent.

Cette opération immorale, l’argent est roi. Le sentiment de l’appartenance nationale devient une marchandise. Sur ce terrain, le capitalisme libéral mondialiste a encore une fois montré sa face la plus ignoble. Il a crée un nouveau marché aux esclaves. Inutile de dire qu’il profite aux mêmes : les nordistes, au détriment des mêmes : les sudistes. On a donné un nom à cette entourloupe : la naturalisation par et pour le sport.

Or la naturalisation est un terme fallacieux. Il a été inventé par les Occidentaux pour faire croire que changer de nationalité est naturel, donc biologique, ce qui est faux. C’est un acte culturel. On entre dans une autre culture, celle d’un pays étranger et il n’est point question de sang ni de biologie. Ainsi pour les droites extrêmes, la nation serait une nature et non une culture. Voilà comment le droit du sang est légitimé. Et on comprend pourquoi certains pays y restent attachés et rejettent le droit du sol pour obtenir la nationalité. Les Allemands, encore eux… et qui sont les maîtres à penser de l’Europe blanche et chrétienne et qui prétendent donner des leçons en matière de droits de l’homme, ne sont pas prêts à changer cette règle chez eux. Le droit du sol est néanmoins appliqué en France, en Espagne, en Belgique et aux Etats-Unis. Dans l’histoire, ce sont toujours les partis de gauche qui ont prôné le droit du sol.

Bien entendu, il fallait éviter le mot «culturaliser» qui rappelle aux uns et aux autres de très mauvais souvenirs : la colonisation, la destruction des cultures autochtones, l’imposition des langues du dominateur, l’effacement des religions et des coutumes originelles … En un mot cela rappelle les ethnocides et les génocides qui ont été opérés par les Européens à partir du XVIe siècle partout dans la planète et qui se perpétuent jusqu’à ce jour en Palestine et ailleurs dans le monde.

Quelle juridiction, pour quelle morale ?

La réglementation existe. Elle varie d’un sport à l’autre et chaque pays décide et choisit les lois qui lui sont les plus favorables. Au niveau international, chaque fédération dispose de ses propres règles.

Il est compréhensible qu’un joueur binational puisse jouer à un moment ou à un autre pour ses deux pays d’appartenance. Par contre, ce qui est aberrant, c’est qu’un binational ne puisse pas jouer pour ses deux pays simultanément. Ce qui est toléré dans les clubs ne l’est pas dans les sélections nationales. Bien entendu, si cette règle existe c’est parce qu’elle est favorable aux Occidentaux. Le binational émigré qui peut rejouer avec son pays d’origine constitue une menace. Par contre, «l’importer» comme doublure permet de l’utiliser en cas de besoin et surtout d’éviter de le retrouver comme un concurrent en face. Voilà ce qui explique pourquoi nombre de Maghrébins et d’Africains se retrouvent «grillés». Rejetés par une sélection européenne, ils ne peuvent plus jouer pour leur propre pays.

Par contre, faire le tourisme transnational entre les passeports et les drapeaux est toléré. Les  pays riches achètent des joueurs. Le mouvement s’amplifie la veille des grands évènements, ou lorsque le pays est l’organisateur. Dans ces moments, les agents de prospection s’affolent. Il existe toute logistique : statistiques, prévisions, cartographie du monde, calcul des risques… On se croirait dans le domaine militaire ! D’ailleurs une bourse existe. Elle a été inspirée du marché des chevaux.

Excès, monopoles, hypocrisie et profits :

Les multi-passeports : «Entre 1946 et 1961, le joueur hongrois László Kubala (né à Budapest en Hongrie) a joué successivement pour la Tchécoslovaquie, puis la Hongrie et enfin l’Espagne. De même, Alfredo Di Stéfano, un des joueurs les plus reconnus de son époque, a d’abord joué en 1947 pour l’Argentine (son pays de naissance) puis pour la Colombie et l’Espagne (1957-1961).» (Wikipédia).

Le footballeur Dejan Stankovic qui a participé à trois coupes du monde de football entre 1998 et 2006 avec trois pays différents : Yougoslavie, Serbie-et-Monténégro et Serbie qui, entre temps, était devenue autonome. Et les exemples sont nombreux.

Le racisme : le cas de l’Algérien Youssef Abdi : «Naturalisé quelques mois avant les JO de Sydney 2000, il remporte haut la main les sélections australiennes sur 1500 m. «J’ai vite déchanté. Malgré ma victoire, ils ont préféré prendre quelqu’un d’autre avec un nom un peu plus anglo-saxon», lâche-t-il écœuré. (…) Excédé, en 2005, il finit enfin par dénoncer dans la presse ses écartements successifs injustifiés. «J’ai été très patient mais rater deux Olympiades parce que je m’appelle Youcef et que je suis d’origine algérienne, ça commençait à sérieusement me chauffer», s’insurge Abdi. Son coup de gueule est un pavé dans la mare. Embarrassée, la sélection australienne jure qu’il n’y a «aucun racisme dans la non-sélection de cet athlète très talentueux». (Le courrier de l’Atlas).

Sur le site du Groupe d’information et de Soutien aux immigrés (Gisti), Christophe Daadouch, un juriste et formateur en travail social a écrit un article sur le sujet : «Quand le sport jongle avec les nationalités». Nous en reproduisons ci-dessous des extraits avec des ajouts au niveau de certains sous-titres…

Des règles sur mesure : «La réglementation de la Fédération internationale de handball est une des plus souples et a donné lieu, lors du championnat du monde de 2015, à de nombreuses polémiques. L’équipe du Qatar est en effet arrivée en finale avec une équipe composée exclusivement de naturalisés tunisiens, égyptiens, monténégrins et un… Français (Roiné) qui avait remporté le même titre avec l’équipe de France en 2011.»

«Rappelons toutefois qu’avant d’être connu pour ses liens avec le Qatar, Michel Platini, alors jeune retraité, avait porté les couleurs de l’équipe nationale du Koweït sans que personne n’ait jamais pu comprendre le fondement juridique de cette intégration.»

Les mercenaires sportifs : «Le tennis de table, de son côté, a modifié, en 2008, sa réglementation internationale en posant des durées de naturalisation selon l’âge. Il faut dire que ce sport est confronté à la prééminence des Asiatiques et particulièrement des Chinois. Si l’on prend aujourd’hui le classement des cent meilleures pongistes, les Européennes les mieux classées sont Ying Han (Allemagne), Fu Yu (Portugal), Yanfei Shen (Espagne), Fen Li (Suède), Yifang Xian (France) et Jie Li (Pays-Bas). En 2007, les demi-finales du championnat d’Europe mettaient aux prises une Néerlandaise, une Luxembourgeoise, une Allemande et une Polonaise. Toutes les quatre étaient d’origine chinoise.»

Les abus dans le rugby : «Lors de la dernière Coupe du monde en 2015, l’équipe japonaise comptait une dizaine d’étrangers (principalement des Néo-Zélandais) et l’équipe des îles Samoa, une douzaine de non-nationaux. Quant aux Néo-Zélandais, ils ont largement intégré dans leur équipe des Fidjiens ou Samoans, avec, là aussi, les résultats que l’on connaît (ils remportent la Coupe du monde).»

Le club avant la nation : «Quand un joueur préfère défendre les couleurs de son club plutôt que celles de sa nation, il est critiqué. C’est le cas du talentueux basketteur Joakim Noah pour qui ‘‘l’équipe de France n’a jamais été une priorité’’, bien moins que ne l’est son club de Chicago, et qui s’est toujours défini comme ‘‘un citoyen du monde’’

Les entraîneurs en dehors des normes : «Lors de la dernière coupe du monde, treize entraîneurs n’avaient pas la nationalité du pays dont ils dirigeaient la sélection. Or, n’y a-t-il pas là poste plus stratégique que celui de sélectionneur? Poste qui suppose de connaître tout le pays, sa langue, ses équipes, ses styles de jeu et même les antagonismes entre les régions, voire entre les villes. Il n’est pourtant jamais venu à l’idée de quelque fédération de réglementer les exigences de nationalité sur un tel poste alors qu’on refuse aux binationaux de jouer pour deux nations ou d’être sélectionnés sans justifier d’une durée de résidence sur le territoire.» (Christophe Daadouch, Gisti).

Le corps sudiste volé par le Nord :

Et les pauvres justement, comme toujours, ils se contentent des miettes olympiques et leurs athlètes, face à leur impuissance, ne peuvent que rêver de faire partie du club fermé des dominants. C’est la nouvelle façon d’émigrer en fin de compte, mais par le biais du sport. D’ailleurs, n’a-t-on pas vu sur les plages de la banlieue nord de Tunis des Subsahariens installer un mini-camp d’entraînement de football avec tout le matériel. Ils se préparaient ainsi à jouer en Europe, une fois qu’ils auront réussi leur migration illégale vers l’Italie?

Quand la nation perd son sens : les capitalistes ont réussi à faire rentrer dans les esprits des athlètes du Sud l’idée que leur patrie n’a pas de sens. Tous les footballeurs africains rêvent de jouer dans les championnats européens. Les stratèges diaboliques ont réussi à substituer la nation au club. Ce qui est plus grave c’est que la barrière de la nationalité a été bannie.  Seul l’argent et la gloire comptent.

Et le jonglage avec les nationalités sportives n’a-t-il pas ouvert les portes à la fuite des cerveaux et au pillage des diplômés du Sud par un Nord vieillissant et sur le retour? La Tunisie est profondément siphonnée. Quelle est la famille qui n’a pas vu un ou plusieurs de ses enfants diplômés émigrer et rêver d’un passeport occidental qui le préserverait de l’humiliation des procédures du visa touristique? La nationalité d’origine a-t-elle encore un sens? Il fut un temps où changer de nationalité au Maghreb était considéré comme une trahison. C’est devenu un must…  

 Quand l’étranger ne fait plus honte au majoritaire blanc : sur un autre plan, le bal vulgaire des Etats européens qui discriminent leurs immigrés mais qui affichent des sélections nationales sportives «colorées» à outrance est une injure faite à leurs pays et à leurs continents d’origine. En clair, dans le quotidien, les Occidentaux cachent leurs immigrés non européens. Ils occultent de diverses manières leur présence. Par contre, dès qu’il est question de remporter à travers eux des médailles, ils sont obligés de les montrer vu qu’ils ne peuvent pas les peindre en blanc, ou du moins pas encore, car nul ne sait ce que les découvertes génétiques nous cachent. Nous avons déjà évoqué dans un précédent article les liens conflictuels entre l’extrême droite française et les sportifs français d’origine étrangère.

Déposséder le grand Sud de ce qui lui reste : voilà ce dont il est question ici : déposséder le grand Sud de sa dernière ressource, en l’occurrence la force physique et mentale. Après le pillage économique, culturel et l’asservissement politique, l’homme blanc judéo chrétien s’attaque à la dernière richesse naturelle qui restait aux pauvres : le corps de ses athlètes. Le message est explicite : nous vous volons vos athlètes parce qu’ils sont pauvres. Leurs médailles deviennent les nôtres. C’est notre hymne national qui sera entendu. Et notre drapeau hissé à la place du vôtre !

Face à ce pillage humain qui ne se cache plus, on ne peut que féliciter les athlètes qui ont refusé de succomber à ce chantage. Malgré les offres alléchantes des agents et autres nouveaux intermédiaires, ils continuent de se battre pour leurs pays et pour leurs clubs. Ils remportent des victoires et des médailles avec des moyens matériels rudimentaires. Ils prouvent ainsi que l’argent n’est pas tout dans la vie.

Une nouvelle forme d’esclavage : Pourquoi ? Parce que le sport de haut niveau est un calvaire. Pour parvenir au plus haut niveau, il faut souffrir. Les entraînements sont proches de la torture physique et mentale. Fatigue, épuisements, évanouissements, vomissements… il faut constamment repousser les limites des maux physiques. Il faut accepter toutes sortes de privations, alimentaires, sociales, affectives… On est proche de la vie du robot plutôt que de celle de l’être humain.

Voilà pourquoi les Occidentaux qui ont habitué leur progéniture au confort, aux plaisirs et au luxe n’arrivent plus à fournir des athlètes performants dans certains sports dits durs. L’athlétisme, la boxe, le football, le basketball et les sports de combats ont été dominés dans la plupart des pays occidentaux par les minorités étrangères. Les blancs natifs ne sont plus prêts à autant de souffrances. Seuls les immigrés précaires et les étrangers sont capables de subir un parcours aussi dur. Notons que pour la plupart de ces derniers, c’est la seule issue qui leur est offerte pour sortir de la misère et du mépris.

Nationalisme et sport : l’opium du pauvre

Les liens entre nationalité et sport sont régis comme on l’a dit au départ par des intérêts de domination et d’argent. Pour abréger, le sens caché actuel du sport de compétition est le suivant : c’est le plus riche et le plus puissant qui monte sur le podium.

Par ailleurs, une simple comparaison au niveau des pays qui dominent le sport mondial révèle que ce sont les mêmes qui composent le G7, le G20… Le «G» et ses utilisations outrancières signifient une déclaration franche et formelle : il y a les riches et qui disposent de la violence militaire et financière et les autres : les pauvres et les arriérés.

Les Jeux olympiques, les coupes du monde et toutes les compétitions dites «internationales» et qui concernent tous les sports sont au fond faites par et pour les nations les plus riches, en l’occurrence celles du Nord. D’ailleurs, les pays du Sud sont exclus de leur organisation, donc de leurs bénéfices. Aucun pays du Sud n’a organisé les Jeux olympiques. Est-ce normal ? Or la charte olympique parle de la paix et de l’amitié entre les peuples… riches assurément !

Le Qatar est le seul pays arabe à avoir organisé une Coupe du monde de football. Beaucoup de pays occidentaux ne lui ont jamais pardonné d’avoir battu au vote les Etats-Unis, le Japon et l’Australie. L’affaire Blatter et celle de la corruption dans la Fifa ont débuté suite à cette décision. Il fallait punir. Or qui ignore que la corruption, le lobbying et les malversations sont constitutifs du monde du football? Et la colère n’a pas baissé vu que le minuscule émirat, dont la taille équivaut à la moitié de celle du gouvernorat de Kébili, en Tunisie, a réussi son pari haut la main.

Les Jeux olympiques ont été crées pour faire diversion. C’est une imposture dans laquelle les riches déploient leurs muscles et où les pauvres se contentent de regarder ou de faire de la figuration. Son objectif est de faire croire à une humanité unifiée le temps de quelques jours. Et en cela, la tristement célèbre «trêve olympique» n’est qu’un mensonge : les sionistes assassins d’enfants ont continué et continuent jusqu’à ce jour leurs crimes impunis pendant les JO de Paris, où leurs athlètes démunis de scrupules paradent.

Mais la partie n’est pas finie. Le monde respire encore. La Russie qui compte dans sa fédération 21 pays et où le concept de nationalité est déjà très ambigu… a mis en place les Jeux de l’amitié. 70 pays s’y sont déjà inscrits. Et les Brics n’ont pas encore dévoilé leur stratégie en matière de sports… Le monde bipolaire en construction sera aussi sportif. Certains apprécieront.

* Sociologue, Tunis.

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