‘‘Pity the nation’’ : l’occupation du Liban, ou les hallucinations du juif qui se prenait pour pharaon

Israël ne pourra pas réaliser ses ambitions colonialistes au Liban, malgré le soutien aveugle américain, c’est l’évidence, ainsi que l’ont prouvé les guerres du Liban en 1982 et en 2006. La question est de savoir combien cet Etat criminel fera des victimes et détruira de villes, avant que cette réalité s’impose, et si au final, il y survivra. (Illustration : L’occupation du Liban par Israël en 2024 échouera comme ont échoué celles de 1982 et 2006).

Dr Mounir Hanablia *

Ce témoignage d’une décennie de guerre au Liban par le célèbre journaliste britannique est poignant parce qu’il en évoque non seulement les faits marquants mais aussi les réalités quotidiennes. Et pas seulement les fanfaronnades de Yasser Arafat faisant le V de la victoire au moment même où l’OLP évacue Beyrouth en abandonnant ses civils laissés à la merci des promesses américaines non tenues, ni les envolées guerrières du chef druze Walid Joumblatt vidant un chargeur de pistolet mitrailleur en l’air pour saluer le départ de son encombrant allié.

Charniers, odeurs pestilentielles émanant d’immeubles écroulés, corps démembrés et enterrés sous des terrains de sports dans des écoles, matchs de foot avec des têtes de personnes massacrées, escadrons de la mort dirigés par le Shin Bet, la sécurité militaire israélienne, milices financées par les habitants sous la contraints avec l’assentiment de l’armée d’occupation, massacres interethniques à l’instigation de cette même armée, bombardements de civils, bombes déposées contre les résistants après des incursions dans des villages, enlèvements et disparitions de personnes, dénonciations par des mouchards portant des Balaclava, bombardements et assassinats de soldats de l’Onu, incursions armées dans les zones soumises à leur contrôle, détentions sans jugement…; la liste des exactions israéliennes dans les villages libanais semble interminable.

Une occupation terroriste

Le but de l’occupation fut de propager la peur parmi les habitants afin de les soumettre. On peut donc qualifier cette occupation de terroriste, contrairement à celle, palestinienne, qui accablait le citoyen libanais dans ses activités quotidiennes, qui disséminait ses armes dans les quartiers des villes du pays hôte, au risque d’en faire des cibles pour l’aviation sioniste,  et qui ne devenait meurtrière que lorsqu’il s’agissait de répliquer aux tueries dont les Palestiniens étaient les victimes.

Il convient d’autant plus de le rappeler que le grand alibi de la politique d’agression israélienne soutenue par les Etats-Unis d’Amérique depuis Reagan jusqu’à Biden n’a pas cessé d’être la lutte contre le terrorisme et les terroristes. Ainsi le récent assassinat des cadres dirigeants du Hezbollah a été justifié par leur implication dans les prises d’otage et surtout les attentats contre les Marines et les soldats français, les ambassades américaines à Beyrouth et Koweït dans les années 80.

Les Israéliens n’ont pas voulu rappeler l’attaque suicide contre leur quartier général de Tyr, dans lequel outre leurs soldats, les corps de prisonniers palestiniens morts les mains liées derrière le dos avaient été retirés de sous les décombres.

Soutien occidental à l’occupant israélien

Les Américains et les Français ont prétendu que leurs soldats étaient venus apporter la paix aux populations, à l’instar de toutes les  armées d’invasion du Liban. Ainsi, lors de son entrée à Beyrouth, l’armée syrienne s’était même fait précéder par un char monté par un soldat jouant de la guitare dont le son était bien entendu couvert par le vacarme des moteurs et des chenilles.

Néanmoins, les corps expéditionnaires français et américains étaient passés du stade du maintien de l’ordre à celui de la belligérance en apportant leur appui militaire direct aux forces du président Amine Gemayel qui essayait d’établir un Etat maronite contre les Druzes et les Chiites. Et l’accusation de terrorisme contre la résistance à l’occupation du Sud Liban lancée par le colonel Mead, dirigeant le corps des Marines, avait fait des troupes américaines des cibles légitimes de la résistance; tout comme les prises d’otages contre les Occidentaux avaient constitué la réponse logique aux enlèvements de civils dans les villages du Sud Liban par l’armée israélienne et les milices opérant pour son compte, ainsi que l’appui politique et militaire apporté par leurs gouvernements à l’occupation du pays.

L’argumentation israélienne actuelle en 2024 justifiant ses attaques contre le Hezbollah, et entérinée par les Américains, abstraction faite de son silence sur les pertes civiles, n’est donc nullement dénuée du cynisme ou de la mauvaise foi habituels. En réalité elle trahit même l’intention de ses auteurs relativement aux objectifs de la guerre actuelle, ceux-là mêmes qui n’avaient pu être concrétisés en 1982 du fait de l’alliance militaire entre la Syrie, l’Iran, les Palestiniens, et la résistance Chiite et Druze.

Il faut à cet effet se souvenir des paroles du président Ronald Reagan qui trahissaient des intentions autres qu’humanitaires, il est vrai à l’ère de la rivalité entre l’Occident et l’Union Soviétique: «Le Liban est une pièce essentielle du dispositif occidental en Méditerranée orientale dont tout événement auquel il est lié a des répercussions sur la sécurité du Golfe Persique».

Ceux qui avaient considéré comme une invasion de l’Otan le débarquement américain, français, italien, à Beyrouth en 1982, sous la protection de la flotte combinée, n’avaient pas entièrement eu tort. Il reste que ce débarquement s’est soldé par un échec que même les obus de la taille d’une voiture Volkswagen tirés par le cuirassé américain New Jersey, contre les villages de la Montagne libanaise n’ont  pu empêcher.

Le départ peu glorieux des Américains

L’administration américaine avait qualifié le départ peu glorieux de son armée de redéploiement, ce qui avait poussé certains humoristes particulièrement impitoyables à évoquer le redéploiement de l’armée française à Waterloo, ou celui de l’armée anglaise à Dunkerque, pour ne pas évoquer celui des Allemands à Stalingrad. Et l’arrivée du président libanais à Damas, on aurait pu dire à Canossa, quelques jours après le rembarquement du dernier soldat américain, avait démontré, outre la vanité du soutien américain, que le président syrien Hafez El Assad avait été le véritable vainqueur du conflit.

On en revient ainsi en 2024 à la guerre du Liban de 1982, et à la volonté de l’orgueilleux Netanyahu de réaliser tout ce à quoi Ariel Sharon lui-même avait jugé préférable de renoncer, à savoir l’installation d’un pouvoir maronite allié à Beyrouth, et plus tard, l’occupation de Gaza.

On peut considérer qu’en l’état actuel des choses, et avec le souhait exprimé par Joe Biden d’obtenir outre le refoulement du Hezbollah au-delà de la rivière El-Awali, son désarmement, l’objectif israélien soit d’occuper le Sud Liban, et de laisser au pouvoir à Beyrouth le soin de neutraliser tout mouvement de résistance susceptible de combattre l’occupation.

Autrement dit, la stratégie actuelle du tandem américano-israélien de pacification de la fenêtre méditerranéenne de l’hinterland moyen-oriental constitué par la péninsule arabique, ne peut aboutir qu’à la reprise de la guerre civile libanaise et la remise en selle de la résistance palestinienne armée au Liban, ainsi que le retour en force de la Syrie dans le jeu libanais.

Ainsi apparaissent toujours présents l’entêtement sidérant des «experts» sionistes et la malhonnêteté crasse de leurs amis immigrés arabes et iraniens à Washington, qui pèsent si lourdement sur la politique américaine aveugle, pour la conduire inévitablement vers les mêmes impasses, enlisée dans les mêmes bourbiers inextricables.

Il est vrai que depuis les accords d’Abraham et la prochaine normalisation des relations d’Israël avec l’Arabie Saoudite, les Américains ne se sentent plus tenus de donner suite au moins formellement aux objections de leurs alliés arabes qui, dès lors qu’ils ont abandonné la cause palestinienne, n’en soulèvent d’ailleurs plus.

Néanmoins, depuis le néolithique, les réalités géostratégiques au Moyen-Orient ont toujours situé les ères de domination politique en Mésopotamie, sur les plateaux anatolien ou iranien, et en Egypte. La Palestine n’y fut jamais qu’un lieu de passage étroit coincé entre la mer et le désert, à la marge des empires.

L’entêtement d’Israël, l’aveuglement de l’Occident

Après la débâcle irakienne de l’Amérique, aller à l’encontre de ces réalités-là ne témoigne que d’un aveuglement rare dont le prix est de nouvelles tragédies. Le piétinement actuel de l’armée israélienne autour de Maroun Al-Ras, située au Liban à quelques mètres de la frontière, préjugent des difficultés pourtant prévisibles qui attendent l’Etat sioniste dans son entreprise criminelle.

La Bible ayant interdit aux Hébreux de pénétrer en terre sainte les armes en évidence, les avait pourtant prévenus des conséquences fâcheuses de leur installation au Liban. Netanyahu pense que les nouveaux moyens technologiques lui permettront de les surmonter. Ce ne sera encore là que le dernier mirage du désert qui aveuglera le juif présomptueux qui se prenait pour pharaon.

Il reste le mystère de l’évolution de l’attitude des administrations américaines. Reagan avait exigé et obtenu l’arrêt des bombardements terroristes de Beyrouth en 1982. En 2024, malgré une forte opposition de la jeunesse et des milieux académiques américains à la guerre, Biden n’exerce aucune pression effective pour l’arrêt des combats.

Non seulement le 11 septembre 2001 est passé par là, mais la comparaison avec le 7 octobre 2024 est la règle dans les milieux politiques américains, et les nécessités de la lutte antiterroriste dans sa vision israélienne priment. C’est d’autant plus regrettable que c’est bien cette politique là et le déni qui l’accompagne qui sont la source du problème.

Le terrorisme d’Etat d’Israël suscite des résistances de plus en plus fortes que lui-même et son complice américain doivent alors combattre au nom de la guerre antiterroriste. C’est la quadrature du cercle de la haine. Israël ne pourra pas réaliser ses ambitions colonialistes, malgré le soutien aveugle américain, c’est l’évidence, ainsi que l’ont prouvé les guerres du Liban en 1982 et en 2006. La question est de savoir combien cet Etat criminel fera des victimes et détruira de villes, avant que cette réalité s’impose, et si au final, il y survivra.

* Médecin de libre pratique.   

‘‘Pity the Nation: The Abduction of Lebanon’’ de Robert Fisk, Oxford University Press, 2001, 727 pages.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!