Abdelwahab Meddeb n’est plus, mais il écrit encore. Dix ans après sa disparition, ses carnets refont surface et composent un livre bouleversant de beauté et d’érudition : ‘‘Vers l’Orient. Carnets de voyage de Tanger à Kyoto’’, publié aux éditions Stock. Plus de cinq cents pages de manuscrits, de dessins, de méditations poétiques, de pensées sur l’histoire, les civilisations, les villes et les âmes.
Djamal Guettala
Il y a des auteurs qui écrivent pour publier. Meddeb écrivait pour marcher, pour respirer, pour exister. Dans ses carnets retrouvés par son épouse Amina et sa fille Hind, il y a le monde. Pas le monde qu’on traverse en touriste, mais celui que l’on arpente en lecteur, en mystique laïc, en poète en quête de correspondances.
De Tanger à Kyoto, en passant par Fès, Tolède, Kairouan, Alexandrie, Sarajevo ou Jérusalem, l’auteur trace une carte intérieure où les civilisations dialoguent en silence.
Érudition en mouvement
Chaque étape du voyage est une méditation. Chaque ville, un palimpseste. Meddeb lisait les pierres comme d’autres lisent les livres. Il consigne, en français comme en arabe, dans une graphie soignée, ses impressions, ses émerveillements, ses colères aussi. Les pages sont ornées de croquis, de plans d’architecture, de fleurs séchées ramassées au bord d’un chemin. L’objet-livre est un trésor en soi, magnifiquement préfacé par Arthur H.
Ce ‘‘Vers l’Orient’’ n’est pas une fuite mais un retour. Un retour aux sources, à l’origine du souffle poétique, aux croisements oubliés où l’Islam et l’Europe, l’Afrique et l’Asie se sont fécondés mutuellement.
Meddeb rappelle, sans jamais le dire frontalement, que l’Orient n’est pas l’Autre, mais une part de nous-mêmes. Que la culture musulmane n’est pas un bloc figé mais une vibration, une traversée, une lumière qui voyage.
Le legs d’un passeur
Abdelwahab Meddeb fut poète, romancier (‘‘Talismano’’, ‘‘Phantasia’’), essayiste (‘‘La Maladie de l’islam’’), critique d’art, historien, traducteur, animateur de l’émission ‘‘Cultures d’islam’’ sur France Culture. Il a aussi contribué à la redécouverte de la littérature arabe classique, à la traduction des grands textes soufis, et à l’exploration des liens entre peinture, mystique et modernité.
Ses carnets, patiemment assemblés par son épouse et sa fille, ne forment pas un journal intime mais une géographie mentale. Un texte-monde. Un anti-GPS poétique. On y entre comme on entre dans une bibliothèque ancienne ou une médina endormie. On en ressort avec la sensation d’avoir appris à regarder autrement.
Un livre d’avenir
Ce livre arrive à point nommé. À l’heure où les crispations identitaires et les replis dogmatiques réduisent la pensée à des slogans, ‘‘Vers l’Orient’’ ouvre des fenêtres. Il rappelle que le voyage est un acte de culture, que l’islam n’est pas un mur mais un pont, que la beauté sauve parfois ce que la politique détruit.
Pour tous ceux qui aiment la langue, la lenteur, la marche, la poésie et la civilisation, ce livre est un événement. Meddeb, l’écrivain-marcheur, l’amoureux des livres et des lieux, n’est pas mort. Il nous parle encore. À nous de tendre l’oreille.
‘‘Vers l’Orient. Carnets de voyage de Tanger à Kyoto’’, de Abdelwahab Meddeb, préface Arthur H, éditions Stock, collection «La Bleue», Paris le 21/05/2025, 512 pages.
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