Exposition et séminaire : La cartographie historique de la Palestine

Le Pavillon Habib Bourguiba de la Maison de Tunisie à Paris accueille depuis le 1er mars 2024 une exposition inédite intitulée «Géographie historique de la Palestine». L’équipe scientifique de l’exposition et du séminaire y afférent est dirigée par l’historien et professeur émérite Abdelhamid Larguèche. Elle comprend notamment les universitaires Afef Mbarek et Imen Bahri. (Illustration : Description de la terre sainte de Palestine, réalisée en 1557, une carte biblique latine, les noms des tribus, des lieux bibliques.)

Les auteurs ont fait un travail de fouille cartographiques dans les centres d’archives et les bibliothèques numériques du monde.

Pas moins de 100 cartes couvrant 10 siècles d’histoire, confectionnées principalement dans des ateliers en Europe liés soit aux églises soit aux cabinets des géographes de rois, nous révèlent les charmes de ces cartes historiques, véritables tapisseries d’art pour les artistes contemporains.

Mais derrière cette beauté, faite de couleurs et de reliefs, se cache le mystère de ces cartes : il s’agit des mille et une légendes bibliques que racontent ces cartes.

L’Invention de la terre sainte

En effet, le secret de ces cartes c’est qu’elles fondent la sacralité des lieux bibliques, celle du christianisme naissant depuis les lieux de la naissance de Jésus jusqu’à son lieu de sépulture.

Non seulement Jérusalem, mais Bethlehem, Nazareth, Hébron.

Une topographie légendaire fonde ces lieux saints qui légitiment jusqu’à aujourd’hui la Terre Sainte de Palestine, terre promise à un peuple, qui n’est pas le peuple historique qui occupe ces terres depuis de longs siècles.

Cette cartographie imaginaire de l’église catholique et puis évangélique à partir du XVIIIe siècle fait de cette terre celle d’un peuple de la diaspora destiné à la terre promise.

Cette cartographie imaginaire, à thèmes mythologiques a, depuis sa naissance, rompu avec l’héritage grec, celui de Ptolémée, pour renouer avec le mythe de la terre plate, circulaire, encerclée par les océans et dont le centre est situé à Jérusalem.

Al-Idrissi, continuateur de l’héritage grec en matière de cartographie en Méditerranée, se sentait bien seul dans cette Méditerranée devenue chrétienne et versée dans la Bible comme unique source de savoir.

Carte vénitienne datant de 1320, l’auteur Marino Sanudo, voyageur pieux, a fait cinq fois le voyage en Orient et a cartographié cette carte dans l’esprit de faire revivre l’esprit des croisades. Cette carte fait partie d’un ensemble de cartes et documents dédiés au Pape et au Roi de France.

Les portulans ottomans

De leur côté, les Ottomans, héritiers aussi de cet héritage grec à leur façon, ont développé leur propre cartographie centrée principalement sur les côtes et les portulans de Piri Reis dans l’esprit de mieux contrôler les frontières maritimes d’un empire en proie à des guerres avec l’Empire espagnol.

1- Carte ottomane de 1570 de la méditerranée orientale avec le nom des principales villes côtières. Cette carte est exposée au Musée des arts nautiques au Maryland, USA.
2- Palestine, tribus et noms des lieux bibliques, de période ottomane:
la cartographie scientifique en contexte colonial.

Il faut attendre le XIXe siècle, siècle des empires coloniaux, pour voir la réconciliation de l’Église et de la science se traduire par une cartographie rigoureuse et scientifique surtout avec la montée de l’école cartographique allemande aussi systématique que rigoureuse.

Mais la rigueur scientifique basée sur les relevés du terrain et l’arpentage du territoire n’empêche pas la permanence de cet héritage biblique devenu une vérité immuable et axiomatique : la Palestine reste toujours dans ces cartes une terre des 12 tribus enfants de Jacob des anciens royaumes de Salomon et de David. Les Philistins, ces peuples de la mer, restent comprimés dans cette bande autour de la légendaire ville de Gaza.

1- Carte de William Van de Velde, 1858. Considérée comme étant la première carte scientifique de la Palestine. L’auteur a établi une intense coopération avec l’école de cartographie allemande qui donnait la priorité au travail de terrain et à l’observation. Il a coopéré avec le célèbre bibliste américain et cartographe W. Robinson.
2- Carte de la mission britannique élaborée par le Fonds d’exploration de la Palestine, carte scientifique fondée sur l’arpentage du terrain et une documentation systématique, incluant même la toponymie des lieux en arabe et en anglais, 1890.

La cartographie au service de la guerre

Le XXe siècle fait son irruption avec son lot de violence au nom de la refonte de cet Orient malade. L’empire britannique refait la géographie de la région pour imposer finalement un partage depuis l’accord Sykes-Picot de 1916 et la promesse de Balfour de 1917 qui fonde le foyer juif en Palestine au détriment du peuple palestinien.

Une nouvelle géographie bien réelle cette fois mais injuste et cruelle s’abat sur un territoire jadis paisible et diversifié.

L’archéologie biblique prend vite le relais de la cartographie légendaire pour nourrir et entretenir cet imaginaire biblique devenu à connotation hébraïque.

Cela montre bien comment la géographie sert d’abord à faire la guerre, comme l’écrivait Yves Lacoste.

Une exposition qui illustre bien cette contribution académique de l’Université Tunisienne à la solidarité avec un peuple qu’on écrase sous les bombes après avoir spolié sa terre.

L’équipe de commissariat de l’exposition

De la Palestine historique à la Palestine actuelle: la déchirure…

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