Carton rouge pour l’Occident, cette fois-ci pour simulation et jeu dangereux. Sa bonne conscience vient de rentrer en cours de jeu, dans le dernier quart d’heure de la partie, pensant pouvoir renverser le cours du match. Elle se met en pointe après une longue période de quasi-sommeil.
Par Mohsen Redissi *
En 2010, le Qatar arrache le ticket pour l’organisation de la phase finale de la Coupe du monde de football pour 2022. Trois éditions plus tard et sur la dernière minute du temps additionnel, la bonne conscience à géométrie variable de l’Occident tacle le pays organisateur et l’épingle pour non-respect de la charte sportive.
Le faste et l’honneur de l’organisation de la compétition sportive la plus populaire au monde sont-ils réservés à une poignée de pays, grands par la superficie et riches par les ressources?
Le Qatar a certes joué sur la ligne du hors-jeu en violant certains interdits. Il est sanctionné pour jeux dangereux. Le gaz, sa richesse, a transformé l’esprit d’une population et a réchauffé le cœur de ceux qui ont voté pour lui. N’est-ce pas de bonne guerre ?
Gardiens sans frontières
Le Qatar est mis sur le banc des accusés. Des bolides puissants tirés hors de la surface de réparation viennent de toutes parts se loger dans les filets de sa cage. La foule en délire, debout dans les gradins, appelle au boycott de la Coupe du monde de football. Chacun sa manière, son discours, sa version des faits. Leurs sifflets et banderoles veulent mettre la Qatar au ban des nations.
Sifflets tardifs, aucun temps additionnel n’est toléré. Il est quasiment impossible de se replier en défense sauf cas majeur. Tous seront présents pour défendre les couleurs de leurs pays. Aucun des pays n’a déclaré son intention de ne pas se rendre à Doha. A ce stade, lui trouver un remplaçant est impensable. Ils sont donc tous venus, ils sont tous là, les aficionados, même ceux du Sud, ils sont venus acclamer leurs idoles. Quelques délégations et des officiels sont déjà sur la rade du port de la capitale qatarie.
Le public en délire semble oublier que le sport d’une façon générale, et le football en particulier, est un incontestable agent fédérateur. Il a été l’agent pour forger l’identité nationale dans toute l’Afrique et l’Amérique du sud, le sport de prédilection des Européens, anciens colons qui ont diffusé leur sport favori partout sur la planète. Pour les nationalistes de tous bords, gagner une partie contre eux c’est prendre l’ascendant sur les anciens maîtres.
Un tacle assassin
Le choix du pays organisateur de la phase finale de la Coupe du monde de football ou des Jeux olympiques est une histoire remplie d’esquives, de feintes, de coups francs et de pénaltys. De la Coupe du monde de 1934 en Italie, l’équipe soutenue par le fasciste Benito Mussolini remporte l’épreuve, deux ans avant les Jeux olympiques d’été de 1936 à Berlin, dans l’Allemagne nazie sous Adolf Hitler… jusqu’à Doha et bien au-delà encore. L’organisation de l’un de ces grands événements sportifs est une fierté nationale sans égale.
La guerre froide a jeté son ombre lugubre sur les jeux. Le boycott est utilisé pour paralyser des économies faibles ou dépendantes. L’invasion de l’Afghanistan a coûté à la Russie le boycott des Jeux olympiques d’été de Moscou en 1980. En représailles, les pays du bloc de l’Est boycottent à leur tour les Jeux olympiques d’été de 1984 à Los Angeles, aux Etats-Unis. Echange de politesses à la place de l’échange de fanions, hélas !
Cette fois, des villes décident de ne pas monter des écrans géants dans leurs places publiques en signe de protestation, mêlant ainsi politique et convictions personnelles de quelques élus. Ont-ils pris l’avis de leurs administrés ? Heureusement, les foules vont se rabattre sur les cafés et les projections collectives dans d’autres espaces. Les défenseurs des droits se moquent de la plèbe; ils marquent à la culotte le pouvoir politique.
Le gazon maudit
Ces bouffons qui appellent au boycott iront tous crier famine si l’on appelle le public à éviter d’aller voir leurs spectacles ou d’acheter leurs disques ou de suivre leurs émissions. Les contrats faramineux de beIN Sport et compagnie feront réfléchir le plus grands des sceptiques. L’argent n’a pas d’odeur quand il est viré sur leur compte.
Les pays arabes et musulmans n’ont pas appelé au boycott. Les fédérations et les associations sont restées coites dans les tribunes. Aucune fusée incendiaire ni fumigène n’a été lancé sur le Qatar par respect pour le pays pour une raison majeure : il est le premier pays arabe à organiser une manifestation d’une telle envergure. Une première tentative d’une candidature conjointe Ben Ali-Kadhafi avait déjà eu lieu et avait été portée en euphorie tout le peuple tunisien, en attente du verdict de ce dernier penalty sous une chaleur de plomb. Malheureusement le Maroc agita son fanion et aida à faire capoter la proposition tuniso-libyenne. Le ballon s’envola dans les airs, laissant les Tunisiens dépités, abattus tel un Divin Codino **. Le vote final désigna l’Afrique du Sud : Mandela l’emporta et organisa sa Coupe du monde de 2010.
Le Qatar est le baliseur du désert, il a ouvert la voie. Aucun autre pays arabe n’a organisé les Jeux olympiques. Ils ont eu droit aux Jeux méditerranéens ou autres compétitions régionales de moindre importance. Les grands travaux d’Hercule resteront-ils encore longtemps la chasse gardée des nations friquées. L’Arabie Saoudite organisera en 2029 les Jeux Olympiques asiatiques d’hiver. Le tabou de la neige est tombé, d’autres suivront inchallah.
Sepp blaBlatter
S’il ya un tricheur dans tout cela, c’est bien la Fifa. Elle a vendu un rêve trop cher à un pays de taille modeste mais financièrement robuste, soucieux de se frayer un chemin dans le club bien gardé des grands pays du foot. La Fifa a cherché dès le départ l’intérêt de l’Europe. Le pays d’accueil est un grand chantier à ciel ouvert assurant ainsi des marchés pharaoniques aux industriels européens, qui font aujourd’hui la fine bouche après s’être rassasiés.
Le premier coach du Qatar ne tiendra aucune rancune aux tricheurs et aux pays colporteurs qui ont appelé à boycotter sa coupe du monde : il aura toujours besoin de leur assistance pour gérer ses affaires. En attendant le premier coup de sifflet de l’homme en noir, l’origine de l’octroi reste douteuse. L’assistance de la VAR serait la bienvenue.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
** Référence au film retraçant la carrière du footballeur italien Roberto Baggio, qui a connu des hauts et des bas. Son ambition était de battre un jour le Brésil en finale. L’occasion se présente en 1994. Il rate le penalty et brise son rêve fou.
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