La Tunisie a du mal à réformer son marché alimentaire et dépend des importations étrangères de céréales pour près de 60% de la demande intérieure, dans un contexte de rareté de cette ressources, de hausse des prix sur le marché mondial et de crise des finances publiques.
Par Ghaya Ben Mbarek
Une pénurie de pain a frappé la Tunisie ces dernières semaines après que le ministère tunisien du Commerce a interrompu les allocations de farine subventionnées pour environ 1 500 boulangeries modernes ou non-classées (par opposition aux boulangeries classées, qui bénéficient de la subvention du pain, Ndlr).
La décision, rendue en août, a maintenant filtré dans la rue principale, affectant les boulangeries qui produisent des pâtisseries. Il survient dans un contexte de prix alimentaires constamment élevés à la suite de la guerre en Ukraine, qui a bouleversé les marchés mondiaux du blé.
Le ministère a expliqué que la décision avait été prise en réponse à la décision des boulangeries de suspendre la fabrication de pain subventionné à compter du 1er août, pour protester contre les réductions des livraisons de farine subventionnée.
«La décision relève du pouvoir du ministère de réglementer la chaîne d’approvisionnement du marché et concerne tous les professionnels des différents secteurs qui bénéficient de produits subventionnés… Notamment lorsque des infractions à la loi sont constatées», a déclaré le ministère tunisien du Commerce dans un communiqué le 3 août.
Limogeages et arrestations
Avant la décision, le président de la république Kaïs Saïed avait pointé du doigt les boulangeries dites modernes ou non classées pour avoir profité de la farine et de la semoule subventionnées pour produire du pain plus cher et inabordable pour la majorité des Tunisiens, qui dépendent du la baguette subventionnée – un long pain à la française couramment consommée en Tunisie – qui s’est raréfiée ces derniers mois.
M. Saïed a limogé mardi dernier le directeur général de l’Office des céréales, Bechir Kethiri, et a nommé Saloua Ben Hadid Zouari à sa succession.
Le président de la Chambre nationale des boulangeries, Mohamed Bouanane, a été arrêté jeudi pour spéculation sur des produits subventionnés, ont rapporté les médias.
La décision est intervenue alors que M. Saüed s’est engagé à poursuivre ce qu’il a appelé les monopoles dans le secteur alimentaire, en particulier les prétendus spéculateurs sur les céréales, que M. Saïed a accusés d’être à l’origine de la crise de la pénurie de pain et de produits à base de blé.
M. Saïed a également porté des accusations contre des opposants politiques, sans fournir de preuves, affirmant qu’ils sont à l’origine de la crise pour tenter de créer des troubles dans le pays.
Pendant ce temps, les experts s’attendent à ce que la récolte de céréales de 2023 ne dépasse pas six millions de tonnes, dont seulement la moitié pourrait être utilisée ou distribuée sur le marché local, contre une moyenne de huit millions de tonnes au cours de la dernière décennie.
La récolte décevante devrait aggraver la dépendance de la Tunisie vis-à-vis des importations de céréales en 2024, qui représentent déjà 50 à 60% des besoins du marché intérieur. La hausse des coûts d’importation des denrées alimentaires exercera une pression accrue sur les réserves de devises étrangères en baisse du pays.
Crise des finances publiques
Pendant des mois, les Tunisiens ont souffert de pénuries d’aliments de base quotidiens, notamment du sucre, de l’huile de cuisson, du café, du lait et du beurre. Les produits à base de céréales disparaissent plus souvent des rayons en raison de la perturbation du marché mondial causée par le conflit en Ukraine. Les pénuries, qui ont touché les produits subventionnés, sont plus visibles en raison d’une crise des finances publiques, qui a bloqué les paiements des importations alimentaires du pays.
Le gouvernement tunisien continue de solliciter un prêt de sauvetage auprès du Fonds monétaire international (FMI) pour atténuer la crise économique. Mais une impasse politique croissante entre M. Saïed et son gouvernement a bloqué l’élan sur les réformes nécessaires pour accéder au prêt.
Le président Saïed a limogé la Première ministre Najla Bouden début août et a nommé un ancien directeur (des ressources humaines, Ndlr) à la Banque centrale, Ahmed Hachani, pour lui succéder.
Cette décision est perçue par beaucoup comme une tentative de M. Saïed de réduire l’écart entre sa vision et celle de son gouvernement. L’expertise financière (supposée, Ndlr) de M. Hachani (qui a une formation essentiellement juridique, Ndlr) est un autre avantage qui pourrait aider à atténuer la crise économique actuelle.
Traduit de l’anglais.
Source : The National.
Donnez votre avis