En faisant part de son intention de modifier la loi de 2016 instaurant l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Kaïs Saïed fait craindre une intervention accrue de l’État dans les politiques monétaires, en particulier à la lumière du déficit budgétaire croissant, de la rareté des ressources financières et des difficultés d’emprunt à l’étranger.
Par Imed Bahri
En déclarant, lors de sa «visite inopinée» au siège de la BCT à Tunis, vendredi dernier, 8 septembre 2023, que cette loi devait être révisée pour permettre à l’Institut d’émission de financer directement le budget en achetant des obligations d’État, une mesure contre laquelle le gouverneur Marouane Abassi avait précédemment mis en garde ?
De son côté, le ministre de l’Economie et de la Planification Samir Saied avait déclaré à Bloomberg, mercredi 24 mai dernier, en marge d’une conférence à Charm El-Cheikh, en Égypte, que «l’indépendance de la banque centrale restera telle quelle sans aucune modification», réagissant ainsi aux déclarations de députés affirmant qu’ils préparaient un projet de loi en ce sens.
Le monétarisme à l’épreuve du populisme
Le président de la république n’a pas encore clairement indiqué qu’il pense sérieusement proposer un projet d’amendement de la loi de 2016, mais la crainte est réelle de voir l’indépendance de la banque centrale remise en question, au moment où les négociations sur un prêt de 1,9 milliard de dollars sont au point mort depuis octobre, lorsque la Tunisie et le FMI sont parvenus à un accord préliminaire, Saïed ayant déclaré, entretemps, qu’il n’accepterait pas les «diktats» de l’étranger et suggéré que la réduction des subventions pourrait conduire à des mouvements sociaux. Un cauchemar absolu pour le chef de l’Etat qui est déjà en précampagne électorale pour un second mandat, en 2024.
Lors de sa visite à la banque, Saïed a indiqué qu’il fallait faire une distinction entre le rôle de la banque dans la lutte contre l’inflation et son rôle dans le financement du budget, ajoutant que la banque centrale est une institution publique et non indépendante de l’Etat.
En 2020, le gouverneur de la banque centrale, Marouane Abassi, a averti contre les projets du gouvernement de lui demander d’acheter des bons du Trésor présentaient de réels risques pour l’économie, notamment une pression accrue sur les liquidités, une inflation élevée et une baisse de la valeur de la monnaie tunisienne. Mais Saïed semble persuadé que «la loi de financement budgétaire qui dit que la banque ne peut pas accorder de facilités de crédit ni acquérir des obligations émises par l’Etat devrait être revue».
Un mauvais signal envoyé aux bailleurs de fonds
Alors que le pays est bousculé par de multiples problèmes depuis la révolution de 2011, est confrontée à une véritable crise économique, que la majeure partie de sa dette est intérieure, que des remboursements des prêts étrangers sont attendus plus tard cette année et les agences de notation de crédit avertissaient depuis plusieurs mois que la Tunisie pourrait faire défaut, ce brusque intérêt du président Saïed pour la révision de la loi de 2016 relative à la BCT est perçu par la plupart des experts financiers comme une grave menace sur la politique monétaire et la pérennité du dinar, la monnaie nationale. Ce serait aussi un mauvais signal envoyé aux bailleurs de fonds étrangers qui verraient ainsi tomber le dernier bastion de l’orthodoxie monétaire dans le pays.
On aimerait bien entendre l’opinion de M. Abassi à ce sujet, mais il tarde à réagir, alimentant par son silence les craintes des acteurs économiques et financiers. Quand va-t-il réunir le conseil d’administration de l’Institut d’émission pour faire part de sa position officielle et de son éventuelle réaction le jour où le président mettra sa «menace» à exécution en proposant un projet d’amendement de la loi de 2016 au parlement ?
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