Lotfi Abdelli est, avant toutes choses, un très bon comédien qui aurait pu faire une carrière d’acteur beaucoup plus intéressante, notamment au cinéma, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Aujourd’hui, il essaye de faire trou dans le milieu du spectacle parisien, après un départ qui ressemble davantage à un ras-le-bol ou à une décision prise sur un coup de tête. Vidéo.
Par Mohamed Sadok Lejri
Trêve de mauvaise foi ! Ce que Lotfi Abdelli est en train de faire en France est digne d’admiration. Le mec a quitté la Tunisie à la suite d’un ras-le-bol et d’une déception relative à l’état des libertés dans le pays, alors qu’il était au faîte de son succès et remplissait les salles et les théâtres les plus spacieux. Il a tout repris à zéro et tente, à présent, de se faire connaître du public français et d’acquérir un peu de notoriété. On voit très bien que, même s’il est handicapé par une maîtrise approximative du français (il ne faut pas être très sévère avec lui sur ce chapitre car c’est un autodidacte), il essaye de tirer profit de sa longue expérience de comédien et d’humoriste pour s’acclimateur à la scène artistique française.
Ce que les Français ignorent, c’est que Lotfi Abdelli a derrière lui une carrière prodigieuse d’un quart de siècle. Certes, il s’est un peu trop consacré au spectacle comique ces dernières années, probablement pour des raisons pécuniaires, mais ça reste un comédien très apprécié du public tunisien; un nom qui est devenu incontournable aussi bien au cinéma qu’à la télévision.
Un acteur polyvalent
Il ne faut pas nier l’évidence : Lotfi Abdelli est un comédien talentueux, et les personnages qu’il a incarnés sont restés vivants dans la mémoire collective. Son jeu est souvent d’une belle intensité. C’est un acteur polyvalent qui est aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie. Et, qu’on le veuille ou non, il fait partie des acteurs que l’on qualifie de charismatiques. Quand il participe à un projet (film, feuilleton, sitcom), il ne passe pas inaperçu et en devient souvent la pierre angulaire.
Lotfi Abdelli a un jeu naturel et un côté décontracté/cool qui passent très bien au cinéma et dans les feuilletons télévisés. D’ailleurs, pendant longtemps, il a incarné le rôle du jeune rebelle, un peu chahuteur et facétieux, le mauvais garçon qu’on aimerait bien avoir comme ami. Ensuite, avec l’âge, ses rôles ont commencé à prendre de la maturité et plus de consistance.
Je pense sincèrement qu’il n’a pas eu la carrière qu’il méritait au cinéma par manque de films et par manque de réalisateurs et de scénaristes talentueux. Les blagues qu’il raconte sur scène lui ont permis de gagner beaucoup d’argent, mais l’ont un peu discrédité comme comédien. Il faut dire que les gens ne veulent retenir de lui que les blagues potaches qu’il raconte au Colisée du centre-ville de Tunis et au théâtre romain de Carthage pour bien le dénigrer. Ses positions politiques d’après 2011 l’ont également lésé aux yeux de bien des gens parce qu’elles traduisent une certaine indigence intellectuelle et beaucoup de conformisme.
Attardons-nous un peu sur son conformisme car c’est là que je m’inscris en faux contre les détracteurs qui lui reprochent son irrévérence et son «impolitesse» («𝑚𝑜𝑢𝑐ℎ 𝑚𝑒𝑡𝑟𝑜𝑏𝑏𝑖» comme les simplets aiment si bien dire à son propos).
Un conservatisme populaire
En effet, même s’il arbore un air rebelle et provocateur, et malgré sa réputation de grande gueule, Lotfi Abdelli reste un type très conformiste intellectuellement. Son discours n’a jamais été en discordance avec la doxa et la morale dominante qui est très imprégnée de religion – pour moi, ce n’est pas un compliment, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une personne qui se prétend artiste –. Son conservatisme est celui que l’on trouve dans les milieux populaires.
Lotif Abdelli est souvent insolent, mais jamais subversif. Il ne s’est jamais inscrit en faux contre la doxa et les conventions sociales, et encore moins contre les convictions profondes des Tunisiens. D’ailleurs, dès qu’il estime «être allé trop loin» dans la provocation, il ploie l’échine en deux temps trois mouvements et adapte son discours au moule très étroit du conformisme intellectuel pour ne pas se retrouver dans de beaux draps.
Bref, je pense qu’on méprise Lotfi Abdelli pour de mauvaises raisons. En effet, on n’a pas fini de le juger à travers le prisme moralisateur des médiocres. Et je pense aussi qu’il est, avant toutes choses, un très bon comédien qui aurait pu faire une carrière d’acteur beaucoup plus intéressante, notamment au cinéma, aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Mais, hélas !, il n’a pas eu la chance de rencontrer son Godard, son Verneuil ou son Melville. Aujourd’hui, il essaye de faire trou dans le milieu du spectacle parisien, après un départ qui ressemble davantage à un ras-le-bol ou à une décision prise sur un coup de tête qu’à un choix mûrement réfléchi, laissant derrière lui un gigantesque public populaire qui doit se culpabiliser un chouia pour ne pas l’avoir soutenu dans les moments difficiles.
Bon vent, Abdoulaye !
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