Les opérateurs économiques en Tunisie sont la catégorie de la population que l’on écoute le moins et qu’on accable le plus de tous les maux du pays, surtout depuis la proclamation des mesures exceptionnelles, le 25 juillet 2021, par le président de la république Kaïs Saïed, qui dans sa vraie fausse guerre contre la corruption et la spéculation, les met tous dans le même sac et les voue aux gémonies.
Par Ridha Kefi
Si les membres de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) et de la Confédération nationale des entreprises citoyennes (Conect), les deux organisations patronales, font profil bas et n’interviennent dans le débat national que pour défendre leurs intérêts menacés par les décisions à l’emporte-pièce d’un exécutif qui ne sait plus où donner de la tête pour faire face à la crise, c’est pour éviter de faire des vagues, d’alimenter les polémiques qui empoisonnent l’atmosphère générale et d’aggraver ainsi leur situation qui est rendue très difficile par la crise, en tous cas pour une majorité d’entre eux, contrairement aux accusations qui les ciblent de la part des partisans d’un président ne comprenant pas grand-chose à l’économie.
L’horizon s’obscurcit
En fait, les collègues de Samir Majoul, président de l’Utica, et de Tarak Cherif, président de la Conect, sont soucieux de traverser la zone de tempête avec le minimum de dégâts possible et, surtout, d’éviter le purgatoire des dépôts de bilan, sachant que la plupart d’entre eux emploient des dizaines de salariés et ont des engagements envers des partenaires, des fournisseurs et des banquiers.
Or, et pour ne rien arranger, la crise, qui a commencé à pointer le nez depuis 2011, s’éternise sinon s’aggrave et obscurcit l’horizon, ce qui se traduit par une sorte de retenue ou de léthargie, que traduit la baisse continue de l’investissement, principal marqueur de la confiance dans l’environnement des affaires, confiance qui tarde à revenir.
C’est dans ce contexte morose, marqué par les incertitudes, les inquiétudes et les suspicions partagées, que la Première ministre Najla Bouden a présidé, mardi 20 septembre 2022, une séance de travail entre une délégation gouvernementale et une délégation du directoire de l’Utica à la Kasbah, a indiqué hier soir, le Premier ministère, ajoutant que la séance était consacrée à «entendre la délégation représentant le patronat tunisien sur les points et défis qui nécessitent des interventions législatives et réglementaires, pour créer un climat propice à relever les grands défis auxquels est confrontée l’économie nationale».
Selon le communiqué du Premier ministère, «l’équipe gouvernementale a répondu positivement à toutes les propositions et points soulevés par les représentants de l’organisation patronale.» Mme Bouden ayant déclaré que «le gouvernement est ouvert à toutes les préoccupations des chefs d’entreprise et cherche à trouver des solutions efficaces dans différents domaines, afin de préserver le tissu entrepreneurial, compte tenu de son rôle dans la création de valeur ajoutée et notamment la préservation des emplois et la création de nouveaux postes.» Elle a également salué le rôle joué par l’Utica dans la dynamisation de l’économie nationale et sa capacité de résilience et d’adaptation aux défis qui se posent aux niveaux national et international.
Réel engagement ou poudre aux yeux ?
Espérons que cette rencontre ne sera pas de la poudre aux yeux, une sorte de comédie de pouvoir destinée à faire illusion pour faire avancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour un nouveau prêt qui ouvrirait de nouveau les vannes de l’endettement extérieur auprès des autres bailleurs de fonds, lesquels insistent toujours sur la nécessité pour le gouvernement tunisien de desserrer son emprise bureaucratique asphyxiante sur l’économie nationale et d’œuvrer à améliorer le climat général des affaires…
Espérons aussi que cette apparente compréhension du gouvernement des doléances des hommes d’affaires et son engagement à y répondre positivement ne seront pas, eux non plus, des effets d’annonce visant à créer un faux sentiment de concorde civile dans le pays au moment où les pressions intérieures et extérieures se font de plus en plus insistantes, redoutant les conséquences de la dérive autoritaire du président Saïed sur la stabilité en Tunisie et dans la région.
Croisons enfin les doigts et attendons des décisions concrètes allant dans le sens d’un retour de la confiance, laquelle reviendra à coup sûr le jour où le gouvernement cessera de parler des réformes structurelles et commencera à les mettre en œuvre avec toute la détermination et le courage requis, sachant que la «pensée économique» du président de la république, qui cumule tous les pouvoirs au sein de l’Etat, se résume en un patchwork d’imprécations et de menaces dont les opérateurs économiques sont souvent la cible.
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